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Roman feuilleton
Épisode 1

Au volant de mon roadster électrique rouge éclatant, tout juste sorti de l’usine Tesla de Fremont, et dont je viens de prendre livraison il y a à peine trois semaines, je me laisse aller, les yeux mi-clos, en conduite semi-autonome sur l’autoroute Interstate 80.

Je suis parti de Sacramento vers 16 heures 30 où je viens de signer un nouveau contrat avec le producteur Tony Williams en personne.

Je suis heureux, les conditions sont très avantageuses pour moi et mon groupe de country rock progressif, un style que j’ai créé il y a une dizaine d’années et qui commence à être reconnu depuis peu. J’ai réussi à faire la jonction entre le rock progressif anglais des années 70 et le country rock américain, deux styles de musique que j’ai toujours adorés, mais si différents, voire contradictoires, mais j’y suis parvenu avec, je dois dire, une certaine efficacité. Cela commence à marcher !

La circulation est dense mais fluide sur les six voies parallèles de l’autoroute. Mon bolide se traîne en silence sur l’une des voies du milieu, celles où je préfère rouler. N’ayant pratiquement rien à faire, sauf surveiller que tout se passe bien, mon esprit vagabonde. Saturé de sons, de guitares et de claviers dans ma vie professionnelle, je n’ai pas allumé la radio. Je goûte le silence vraiment parfait de cette automobile de luxe. Même ici, au beau milieu de la Californie, pleine de gens blasés, on me regarde ! Je ne suis pas assez connu pour être reconnu ; c’est donc ma voiture que l’on regarde. Le jour où Franck Schneider s’affichera en lettres d’or sur la façade du Madison Square Garden, je serai enfin célèbre ! On peut toujours rêver… En attendant Elon Musk est beaucoup plus célèbre que moi.

Si j’ai pu me payer ce bolide à 250 000 dollars cash, c’est un peu grâce à ma petite femme chérie, Linda que j’ai épousée il y a plus de dix ans à Las Vegas. Elle est belle, pétillante d’intelligence et c’est un manager dans l’âme. Sa société de design industriel est en plein essor et nous assure un train de vie très confortable à San Francisco. Nous habitons une villa de style art déco, construite dans les années 30, mais maintes fois modifiée et agrandie, au bord de la falaise, avec une vue imprenable sur l’océan Pacifique et l’on peut apercevoir le Golden Gate Bridge sur la droite. Linda a décidé, il y a trois années, de consacrer la modique somme de 13 millions de dollars à cette petite merveille de 600 mètres carrés avec piscine, jacuzzi, salle de sport, salles de réception, salons, bibliothèque, suites et une immense cuisine équipée avec vue sur le détroit de Golden Gate quand on cuisine, ce qui peut arriver parfois.

Je suis donc confortablement logé chez ma femme, ce qui me permet de me payer quelques folies avec mon argent, comme le roadster Tesla ou le petit avion que je pilote moi-même.

Je dois rejoindre ma femme à notre domicile pour le dîner prévu à 19 heures. Elle a invité ses parents Monsieur et Madame Dyer ainsi qu’un ami entrepreneur de Palo Alto, un certain Jim Hunter, que j’ai aperçu plusieurs fois en grande discussion avec Linda, avec qui elle monte des projets, et son épouse Julia, que je n’ai jamais rencontrée.

Je contrôle les informations du GPS. Je devrais arriver à San Francisco à 18 heures 15. Encore un peu plus d’une heure de route. Je replonge dans mes pensées et ne me préoccupe plus de la route qui défile tranquillement sans intervention de ma part.

Me suis-je endormi ? En tout cas le système de contrôle de vigilance du conducteur ne m’a pas alerté ! Tout va bien à l’intérieur du roadster. C’est à l’extérieur qu’il y a quelque chose de bizarre.

Est-ce ma vision qui présente un dysfonctionnement ? Cela m’est déjà arrivé à l’époque où je prenais certains médicaments contre l’hypertension qui ne me réussissaient pas du tout. Sans crier gare, une roue dentée lumineuse se mettait à tourner en plein milieu de mon champ de vision, occultant le décor et me rendant presque aveugle. J’étais obligé de m’arrêter de conduire, de ne plus fixer le moindre écran et il fallait que je m’hydrate jusqu’à ce que le phénomène s’estompe et finisse par disparaître. C’était très perturbant et même angoissant.

Mais là, rien de tel !  Ma vision reste nette mais une fine grille très dense se superpose au paysage dans les trois dimensions tandis qu’un bruit de fond, une onde grave et profonde, résonne dans ma tête.

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