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Roman feuilleton
Épisode 17

Harry Godson - Grand Architecte

Au moins cent personnes, un orchestre de jazz rock, du champagne à gogo, que du bon ! Sapience 2008 pour tout le monde et caviar de Russie. J’espère qu’ils apprécient cette petite fête improvisée. Linda n’a pas fait les choses à moitié ! Je suis très impressionné, mes camarades aussi. Personne ne s’attendait à ça.

Parmi la foule bruyante, je reconnais Elon Musk, hilare ; il est en pleine discussion avec Linda et Tony. Ils ont l’air de bien s’amuser. Au fond du salon, près du piano à queue, Harry Godson, pieds nus, discute avec Christina ! Les six employés de la maison sont présents en tant qu’invités à la soirée. D’autres personnes assurent le service en tenue de soirée. Les invités de Linda sont tous en tenue « California casual », c’est-à-dire habillés n’importe comment, quoi qu’avec une certaine recherche dans le négligé, un peu artistes branchés, comme nous, les derniers arrivés. Certains sont en short, torse nu ou même en maillot de bain, de retour de la piscine ou du sauna. D’autres invités sont sur la terrasse. Il règne une ambiance festive que je n’ai jamais connue ici. Linda m’aperçoit et se précipite vers moi. Nous nous étreignons comme si nous nous étions quittés il y a des mois. Je l’embrasse sur la bouche, baiser qu’elle me rend avec fougue. L’orchestre s’arrête. Et notre poème symphonique, fraîchement enregistré, jaillit des hauts parleurs disposés un peu partout, dans un tonnerre d’applaudissement. Mes camarades, habituellement expansifs, ont l’air tout intimidés. C’est la première fois que nous sommes l’objet d’une telle ferveur.

Le morceau est joué intégralement jusqu’à l’accord final. Le public debout, écoute en silence et nous observe. Nous sommes parfaitement immobiles. Je remarque Christina qui me regarde intensément.

Après le nouveau tonnerre d’applaudissements et les cris, je prends la parole, le silence se fait :

  • Je dédie ce poème symphonique à Christina, ici présente, dont je suis secrètement amoureux, en plus de ma femme Linda, bien entendu !

Je déclenche une explosion de rire sauf chez Christina qui est devenue rouge jusqu’aux oreilles, puis j’ajoute, l’effet désinhibiteur de l’alcool commençant à faire son effet :

  • Je vous aime tous mais particulièrement mes musiciens et encore plus particulièrement Adrien, notre bassiste, qui est secrètement amoureux de moi !

Je déclenche une nouvelle explosion de rire encore plus forte que la première ; je sais que mon léger accent français ajoute à l’effet comique de ce que je viens de dire. Adrien ne sait plus où se mettre. Ah quand je me mets à déconner, je déconne vraiment. C’est la fête !

Alors que l’orchestre de jazz reprend, je me dirige vers Christina et Harry. J’embrasse Christina sur les joues ainsi que Harry de la même façon. Sa barbe blanche est incroyablement douce. Il a toujours ce petit sourire bienveillant et un peu moqueur. Je m’incline cérémonieusement :

  • Monsieur le Grand Architecte !

Tony intervient derrière moi :

  • Ah c’est vrai que vous vous connaissez Harry et toi ! Mais appelle-le Harry, il n’aime pas les salamalecs.

  • Je le sais, Monsieur l’Architecte, dis-je en riant. Mais je suis d’humeur taquine aujourd’hui.

M’adressant apparemment à Tony et à Harry mais en réalité à Christina :

  • Vous connaissez Christina ? Elle travaille ici. C’est une perle ! Linda et moi tenons tellement à la garder, que nous avons décidé de lui proposer d’habiter ici pour qu’elle ne soit pas tentée de prendre un autre travail plus proche de chez elle.

Sentant qu’elle est au centre de la conversation, Christina rougit à nouveau. Tony la regarde dans les yeux :

  • Avec votre physique, vous pourriez faire du cinéma ! Vous n’y avez jamais songé ?

  • Non, et je me trouve trop grosse.

  • Comment ça trop grosse ! Vous êtes parfaite. Il ne faut surtout rien changer.

Voilà qu’elle présente des signes d’anorexie mentale en plus du reste ! Je m’inquiète à nouveau. Harry intervient :

  • Vous êtes comme on vous a faite et dites-vous bien que beaucoup de femmes aimeraient avoir votre physique. Maintenant, il faut jouer avec vos atouts ; ils sont nombreux, croyez-moi ! Go on Christina !

Se rend-elle compte que ces conseils avisés émanent du Grand Architecte en personne ! Je suis flatté que Harry ait repris à son compte les paroles dont je suis l’auteur. Mais en suis-je réellement l’auteur ?

Elon Musk nous rejoint avec son air espiègle accompagné de Linda, souriante. C’est elle la plus élégante de la soirée. Elle porte un négligé de soie de couleur crème, très négligé et très tendance et une kyrielle de bijoux bien assortis. Un décontracté très chic.

  • Tu racontes toujours autant de bêtises quand il y a des spectateurs !

  • Ouigre. (Plaisanterie privée réservée à notre couple, aux initiés, aux français et aux belges)

Elon vient me saluer. Rigolard, il m’embrasse sur les deux joues à la française, comme si nous étions deux beaux-frères arrivant à une réunion de famille à Dunkerque ou à Pont-à-Mousson. C’est parfaitement incongru ici et je sens que l’on nous regarde avec étonnement. Sont-ils si proches l’un de l’autre ? Ils semblent se connaître très bien. L’un qui prétend savoir, dit :

  • Franck est un ami intime d’Elon.

Une autre ajoute, citant sans le savoir Marcel Pagnol :

  • Oui ! C’est même un client. Il paraît qu’il lui a acheté une dizaine de Tesla !

Je souris de cette autre notoriété, complètement injustifiée, que je viens d’acquérir sans effort. Elon m’apostrophe :

  • Alors Franck, tu es satisfait du bras robotisé que j’ai fait installer dans ton garage ?

  • Merci Elon. Il est super ! C’est tellement pratique de ne rien faire.

  • Et le mode « Père Noël » ?

Ajoute-t-il avec, semble-t-il, un clin d’œil.

  • Je l’ai essayé hier. Cela fonctionne parfaitement. J’ai pu voir mes amis Tony et Harrry plus rapidement qu’en restant bêtement au sol comme tout le monde.

Elon éclate de rire. Interpellant Tony, Harry et Linda :

  • Il a cru à l’histoire du Père Noël, le con !

Il est écroulé de rire, tellement satisfait de sa dernière blague, qu’il crie à la cantonade :

  • Hé les gars, Franck croit toujours au Père Noël !

Linda me regarde avec un regard attendri tandis que Tony et Harry sourient. Tony ajoute :

  • Le bizutage organisé par Linda et Elon était plutôt bon enfant.

Ce que je viens d’entendre me laisse pantois. Linda était de mèche. Mais qui est-elle au juste ?

  • C’est mon adjointe, me répond Harry. Je l’ai nommé Architecte en chef avant que tu ne fasses sa connaissance. Elle connaît les moindres recoins du tenseur. Une travailleuse hors pair, elle en a redressé des situations désespérées. Tu as de la chance de l’avoir. Elle t’aime tellement ! C’est elle qui a décidé de t’intégrer dans l’équipe des initiés. Compte tenu de la haute estime dans laquelle nous la tenons, nous avons évidemment accepté cette cooptation. Tout ce que t’ont raconté Elon et Tony sur les raisons de ta nomination, ta double compétence, le look, c’était des bêtises. Ils plaisantaient. De sacrés rigolos ces deux-là !

Ainsi elle est la supérieure de Tony, de Elon et de… moi, mais ça je le savais déjà. Je reste abasourdi. Je l’embrasse à nouveau et me dirige vers le piano.

L’orchestre s’arrête et je démarre la chanson de Paul McCartney « Maybe I’m amazed ». Une foule entoure le piano. Cela me rappelle l’ambiance du Ranch de Clint Eastwood, le Mission Ranch à Carmel-by-the-Sea, à 150 kilomètres au sud de San Francisco, où tous les soirs on peut chanter dans une sorte de karaoké live autour d’un piano à queue, avec un pianiste à face de lune, d’origine russe. Les chanteurs soi-disant amateurs sont souvent des professionnels qui acceptent de chanter un morceau choisi par le pianiste, selon son inspiration ou son humeur. Même les meilleurs ont le trac car ils ne savent pas à l’avance ce qu’ils devront chanter.

Là, il n’y a pas de problème, c’est moi qui joue du piano et qui chante. Je démarre seul, puis l’orchestre de jazz rock m’accompagne. Linda est montée sur scène et fait les chœurs. Je découvre qu’elle chante très bien ! Même Elon et Tony s’y mettent. Ils sont survoltés. Harry, toujours pieds nus, danse le rock avec Christina. J’ai rarement vu une telle ambiance dans un salon.

À la fin du morceau, je demande à mes musiciens de monter sur scène pour remplacer l’orchestre de jazz que je remercie chaleureusement pour le prêt des instruments. Le temps d’accorder tout ça, de changer une guitare qui ne convient pas à John, nous nous lançons dans notre configuration habituelle, en interprétant d’une façon très musclée, « Revolution » des Beatles. C’est rugueux, c’est rock, c’est dansant. Une trentaine de couples se sont formés et s’agitent en rythme à l’intérieur et à l’extérieur. Les solitaires s’agitent sur place. Personne n’est assis.

Après « Revolution », nous nous concertons et décidons de jouer Coming Back Home (Go on Christina) pour la deuxième fois de cette longue journée. Je fais rapprocher le clavier électronique du piano et m’installe tant bien que mal. Nous allons tenter l’expérience sans filet dans une configuration un peu minimaliste. GO !

Je commence piano puis exactement comme cet après-midi, Adrien joue sa partie à la basse, et tout s’enchaîne parfaitement avec un son un peu plus brut que sur la maquette mais un peu plus net aussi. C’est précis, c’est beau, c’est triste, cela coule de source. Nous jouons le crescendo parfaitement en rythme, les voix accordées à la perfection, Crosby Stills et Nash peuvent se rhabiller, j’en ai des frissons. La fin puissante mais toujours aussi bien accordée se termine sur le dernier accord qui fait vibrer toutes les cellules de mon corps.

Les applaudissements et les cris durent cinq minutes. Si ça continue nous allons avoir une visite de la police pour tapage nocturne !

Il est deux heures du matin, l’heure du couvre-feu en Californie. Les invités nous saluent puis s’en vont. Le personnel recruté pour la soirée, payé à prix d’or, a bien deux ou trois heures de travail pour nettoyer et ranger tout ce fatras.

Après une toilette rapide, sans attendre Linda, je m’écroule sur mon lit et m’endors instantanément.

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