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Roman feuilleton
Épisode 19

Je peux même faire un peu mieux que revenir exactement à un point de départ fixe. Revenir dans le roadster en mouvement ne pose aucune difficulté. La notion de temps qui s’écoule n’existant pas dans le tenseur d’univers, il suffit de revenir au point de départ, même si ce point est en mouvement dans l’instance inférieure. Le temps de prendre conscience du retour, on perçoit une légère différence entre le point de départ et le point de retour, mais ce décalage est fictif.

Par contre, revenir sur un point différent du point de départ est un peu plus délicat. J’ai encore un peu de mal à viser juste. Cela viendra avec l’expérience.

Mon idée un peu farfelue est d’aller me promener au-dessus du sanctuaire de Lourdes dans le but de comprendre la mécanique des miracles, ces guérisons soudaines inexpliquées par la science mais dûment constatées par des scientifiques croyants et athées.

Les visiteurs sont rarement les témoins d’un miracle, mais rapportent tous une ambiance particulière. Le ressenti est très fort. L’émotion des millions de pèlerins et probablement celle des miraculés et de leurs proches s’est accumulée en certains points du sanctuaire. C’est même un peu oppressant. On comprend que des événements très forts se sont produits ici.

Je veux comprendre comment cela fonctionne. Mon esprit très rationnel, quoi que certains en doutent, me dit qu’il est possible de comprendre et de reproduire le phénomène. Je me dirige donc dans le tenseur d’univers vers ce sanctuaire mystérieux.

Le transfert est instantané. J’aperçois un lieu très dense, très lumineux, qui semble impénétrable. Depuis 1858, l’Église a reconnu 70 miracles sur les 7000 dossiers de guérisons déposés. Pour qu'une guérison soit reconnue comme miracle par l'Église catholique, il faut qu'un groupe de médecins indépendants la déclare complète, durable et « inexplicable dans l'état actuel des connaissances médicales ». Certaines personnes se considèrent comme miraculées mais n’en parlent pas. On peut donc probablement ajouter plusieurs autres milliers de guérisons inexplicables à ces chiffres. Certains médecins ont affirmé que c’est plus le côté instantané de la guérison qui est remarquable que son caractère inexplicable dans l’absolu. Un cancer peut guérir lentement, pour une sclérose en plaques, on peut aussi l’envisager, une cécité peut disparaître si la cause qui entraînait cette cécité disparaît, mais un bras amputé ne repousse jamais. Les miracles ont donc leur limite.

Le tenseur est déformé, très lumineux, d’une densité extrême. En m’approchant je ressens chaque émotion, chaque espoir, chaque transformation des âmes et des corps à l’endroit des points lumineux. Certains points sont plus lumineux encore, ce sont les coordonnées spatio-temporelles des miracles, apparemment disposés de façon aléatoire. Il est impossible d’y voir une logique quelconque. C’est arrivé, c’est tout.

J’échafaude des hypothèses. Le tenseur est le support d’une quantité infinie d’informations qui naissent avec les instances et se propagent instantanément. Si un point particulier concentre certaines informations du même type, ne peut-il pas se produire un décalage, un changement même infime de chemin, indépendamment de la volonté de l’acteur qui subit ce changement ?

Ceci pourrait aussi expliquer le mystérieux effet placebo de substances parfaitement inertes, effet placebo qui n’est pas uniquement un effet d’auto-persuasion. En effet, il s’exprime vis-à-vis du malade, mais également vis-à-vis du médecin, d’où la nécessité de faire des tests en double-aveugle pour vérifier l’efficacité intrinsèque d’une molécule. Plus étonnant encore, l’animal domestique y est sensible aussi.

Si l’on convainc une ou plusieurs personnes que le comprimé de Mica panis a un effet antidouleur, il aura effectivement un effet antidouleur. C’est un petit miracle car chacun sait que la mie de pain, même bio, n’a aucun effet antidouleur. C’est le miracle de l’effet placebo.

À l’inverse, l’effet nocebo se manifeste de la même façon mais dans l’autre sens. Une antenne de télécommunication placée sur le toit d’un immeuble, même si elle n’est pas en service, provoque d’horribles douleurs, des migraines, des insomnies, et des maladies encore plus graves, nécessitant une hospitalisation.

Et la même Mica panis, qui jusque-là soulageait la douleur, pourra provoquer des effets hautement indésirables, si les patients traités apprennent qu’elle contient du gluten ! Ah l’horrible gluten, au nom satanique, qui dévore les pauvres gens soumis à sa terrible emprise ! La liste des symptômes est impressionnante : anémies, effets sur la mémoire et l’apprentissage, problèmes d’écriture, problèmes scolaires, dyslexie, manque de confiance en soi, diminution de la socialisation, dépression, troubles du sommeil, modifications de la vie sexuelle, constipation, diarrhée, gaz intestinaux, maladie de Crohn, problème de régulations de la température corporelle, ralentissement des mouvements péristaltiques (informations données par le site www.intolerancegluten.com) !

Il ne manque que la peste et le choléra. C’est donc une affaire très sérieuse que l’effet placebo et son contraire, l’effet nocebo.

Cela rappelle l’histoire de la chasse d’eau défaillante ! Si je décide que par ma simple volonté, la chasse d’eau fonctionne, elle fonctionne. Si j’accepte l’idée que ce comprimé va soigner ma céphalée, il la soigne, quel que soit son contenu ou presque. Et si je crois que ce bout de ferraille dressé vers le ciel va me rendre malade, il me rend malade ainsi que le chien de la voisine à qui je n’ai pourtant rien dit.

Pour le cancer, un simple placebo ne suffit pas. Il faut sortir de l’ornière ; c’est plus difficile que de prendre le prochain embranchement sans céphalée. Il faut un signal très fort.

Le problème est donc posé. Comment générer un signal suffisamment fort pour provoquer un changement de trajectoire significatif ? Corollaire : comment ce signal a-t-il été généré pour les miracles qui se sont produits ?

Est-ce le fruit du hasard ? Je ne crois pas au hasard.

Alors, l’Église catholique détient-elle la vérité ? Il y aurait vraiment eu intervention divine ? Certains jésuites n’y croient pas ! Je me souviens avoir interrogé un père jésuite que j’avais en haute estime alors que j’étais au lycée. C’était un grand intellectuel qui aimait enseigner et partager son savoir.

  • Père, croyez-vous que Jésus-Christ ait réellement fait des miracles ?

Il m’a répondu à la façon d’un jésuite :

  • Oui, il a ressuscité d’entre les morts.

À l’évidence, les autres miracles ne l’intéressaient pas vraiment, ou alors, il était très sceptique. Et pour la résurrection, il restait dans le symbole !

L’église elle-même adopte une position de réserve quant à la nature des miracles. Elle y voit « un signe d’ordre spirituel » et émet en 2003 un avis officiel pour le moins prudent, au travers de la parole de Monseigneur Jacques Perrier, évêque émérite de Tarbes et Lourdes : « Pour un esprit moderne, il est difficile de dire, à propos de quelque réalité que ce soit, qu’elle est inexplicable. On peut seulement dire que, jusqu’ici, elle est inexpliquée ». Elon Musk ne s’exprimerait pas autrement ! Et j’adhère sans réserve à ce point de vue.

Ma démarche est donc de tenter d’expliquer ce qui jusqu’ici est resté inexpliqué.

Il faut absolument que j’interroge le Grand Architecte, Harry Godson, l’instance la plus élevée dans la hiérarchie humaine (humain puisqu’il s’est fait homme, il a même fait la fête chez moi). J’ai hâte de connaître sa position.

Je ne me décide cependant pas à quitter le sanctuaire. Je suis fasciné par ce lieu qui brille de mille feux. La réponse est là, quelque part.

Il y a du monde dans le sanctuaire mais je suis le seul observateur du passé récent. Je défile l’enregistrement en vitesse accélérée entre 14 heures et 18 heures, heure de Paris. Le tenseur est fixe avec ses points lumineux toujours au même endroit tandis que les acteurs se déplacent sur la place et dans les différents bâtiments.

La sensation de manipuler un simulateur est saisissante, mais je ne fais que scruter un enregistrement. Je n’agis pas, je regarde et essaye de comprendre. Dès que j’arrive sur l’heure actuelle, 23 heures 10 heure locale, 14 heures 10 heure de Californie, l’image se fige puis avance pas à pas au rythme du présent des instances qui apparaissent. Les instances futures ne sont pas encore écrites.

Tony intervient soudainement :

  • Tu en fais trop ! Je te rappelle que nous avons rendez-vous au Dive Bar à Sacramento pour parler de la future tournée mondiale du groupe. Rapplique maintenant !

  • OK Tony ! J’arrive.

Je me retrouve dans le roadster à 14 heures 01, exactement là où je l’ai laissé en mouvement. J’ai donc vu neuf minutes du futur de Lourdes.

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