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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 12

Au prix d’un effort surhumain, je parviens à reprendre conscience. Le malaise est passé. Linda m’observe un peu inquiète.

  • Tu te sens bien ?

  • Cela va mieux maintenant. J’ai fait un horrible cauchemar.

  • Un cauchemar ? Pourtant tu sembles tout ce qu’il y a de plus éveillé ! Tu as juste un peu vacillé en t’appuyant sur le parapet.

  • J’étais à l’hôpital dans la peau d’un vieux copain, Laurent Vigneulles. C’était tellement vrai que j’en ai encore le frisson. Il faut que je l’appelle pour savoir s’il va bien !

  • Qu’est-ce qu’il avait ton copain ?

  • Une amputation des deux jambes après un accident de voiture. En plus il venait de se faire larguer par sa femme et d’être licencié pour insuffisance de résultats. Une horreur ! Et ses enfants ne le voyaient plus.

  • C’est des choses qui arrivent malheureusement, mais c’est assez rare. Tu as probablement parcouru un « putative semita ».

  • Qu’est-ce que c’est ?

  • Un chemin hypothétique. Il est inscrit dans le tenseur mais ne sera probablement jamais instancié. Il arrive fréquemment que l’on parcoure ces chemins en filigrane pendant un rêve, mais il peut aussi s’agir d’un rêve prémonitoire.

  • En tout cas, c’était effrayant. Je croyais avoir tout perdu de ma vie actuelle et être revenu dans ma vie parisienne terne et si triste.

  • Je comprends, mais dans la peau d’un autre ce n’est pas possible.

  • Certes, mais comment savoir qui l’on est vraiment ?

  • Tout le mystère est là !

Je n’ose pas lui parler de l’infirmière. Je suis encore secoué par ce que je viens de vivre. Le souvenir de la salle de réveil, du brancard, de la chambre sont inscrits et la rémanence des images est tenace. Le souvenir de l’infirmière, Christine, encore plus que le reste ! J’ai l’impression qu’elle continue à m’observer.

Je cherche dans mon portable le numéro de téléphone de Laurent mais je ne le trouve pas. Au gré des changements de portable, il a disparu. Je me décide alors à appeler l’hôpital Bicêtre.

  • Bonjour. Je vous appelle de Californie. Je sais qu’il est tard à Paris, mais est-ce que je peux parler à Monsieur Laurent Vigneulles ? Je pense qu’il est hospitalisé à Bicêtre.

  • Ne quittez pas. Je vérifie.

  • Merci.

Après quelques instants :

  • Je vous passe sa chambre, la 512 au service de chirurgie orthopédique.

  • Merci bien.

  • Allo ?

  • Laurent ?

  • Oui. Qui est à l’appareil ?

  • Franck Schneider.

  • Ton copain Franck ! Tu me reconnais ?

  • Franck ! C’est pas vrai ! Tu es toujours en Californie ? Comment as-tu su que j’étais hospitalisé ici ?

  • Je suis toujours en Californie. Comment j’ai su ? Une intuition… Que t’est-il arrivé ?

  • Un bête accident de voiture sur le périphérique. Je venais de fêter ma promotion comme Directeur Général Adjoint en charge des opérations au niveau Europe et je crois que j’avais un peu trop arrosé l’événement. Je me suis pris un camion et j’ai un poignet cassé. Ma voiture de fonction toute neuve est détruite. Je suis passé à deux doigts de la catastrophe. Finalement, ce n’est pas trop grave mais j’ai subi une opération sous anesthésie générale avec deux broches et six semaines de plâtre. En plus, je peux faire une croix sur mon permis de conduire pour quelques temps. C’est fou que tu m’appelles maintenant ! Je n’en reviens pas.

  • Tu ne peux pas savoir combien je suis soulagé de te savoir en bonne santé ! J’ai rêvé que tu avais été broyé dans un accident de la route sur le périphérique au niveau de la Porte d’Italie.

  • Oui, c’est exactement l’endroit où cela s’est produit. Je n’en reviens pas ! Que deviens-tu ?

  • Je suis avec Linda. Nous profitons du soleil pour faire une ballade à pied dans le quartier de Telegraph Hill. Je serai en tournée en France à partir de janvier. Je t’enverrai des invitations. Tu es toujours avec Marion ?

  • Plus ou moins. Nous sommes en cours de séparation. Je te présenterai ma nouvelle compagne, Christine ; elle est superbe !

  • Super ! Qu’est-ce qu’elle fait ?

  • Elle est infirmière de bloc à Paul Brousse. Je l’ai rencontrée au Batofar, un peu par hasard. Je m’ennuyais ; elle aussi. Nous nous sommes trouvés au cours d’une soirée rétro punk. On délirait complètement dans des tenues d’époque et elle est tombée dans mes bras sur le morceau fétiche des Sex Pistols : « God Save The Queen ». Depuis nous sommes inséparables.

  • Bon, je vois que tout va bien ! Peux-tu m’envoyer un Email à franckschneider@us.com pour que je récupère tes coordonnées ? Je reprendrai contact avec toi avant notre arrivée en France.

  • OK. À bientôt !

  • À bientôt. Salut Laurent ! Porte-toi bien.

Je raccroche, soulagé. Linda m’observe en souriant. Elle a suivi la conversation.

  • Si nous allions déjeuner maintenant ! Il est l’heure.

  • OK, mais je voudrais quelque chose de simple. Si nous allions dans le quartier italien. C’est à deux pas d’ici.

  • Franck sans son bio haut de gamme, c’est possible ?

  • Exceptionnellement ! Une part de pizza chez Golden Boy Pizza avec une pinte de bière à la pression, voilà de quoi j’ai envie tout de suite ! Et si possible au comptoir, à côté des clients de passage et des habitués à la recherche d’un repas rapide, bon et pas cher. Il n’y a qu’en Italie et aux États-Unis que l’on trouve de vraies pizzas avec une pâte bien épaisse et une garniture digne de ce nom.

  • Arrête ! Tu me donnes faim. Allons-y !

Nous descendons par les escaliers qui se prolongent de l’autre côté de Telegraph Hill vers Kearny Street que nous suivons à gauche sur deux blocs jusqu’à Green Street. Le Golden Boy Pizza se trouve sur la droite au numéro 542 de la rue Verte. Nous allons nous régaler. La bonne odeur des pizzas en train de cuire dans l’ambiance décontractée et enjouée de l’endroit nous réjouit plus que n’importe quel restaurant sophistiqué, guindé et un peu coincé à la française. Ici pas de tralala. On s’installe au bar, on commande, on rit, on discute avec tout le monde en mélangeant l’anglais, l’italien et pourquoi pas le français ! C’est la bonne humeur à l’italienne. Tout le monde a l’air parfaitement heureux, ceux qui travaillent comme les clients. Un autre petit coin de paradis. J’adore San Francisco. C’est la plus belle ville du monde.

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