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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 9

La nuit est agitée, peuplée de cauchemars, hantée par tous les fantômes qui peinent à quitter la plage de Shelter Cove. Fauchés par surprise en pleine action, ils n’étaient pas prêts à arrêter la partie. Mes gardes du corps ont été efficaces mais ont créé sans le savoir, une accumulation d’esprits en souffrance, pleins de rancœur, vexés d’avoir échoué de façon aussi lamentable. Pour l’instant ils ne peuvent plus rien. La partie a été jouée et perdue. Ils attendent désemparés de connaître la suite qui leur est réservée.

Je ressens tout cela et cela m’empêche de dormir sereinement. Christina est aussi agitée que moi et passe son temps à se retourner dans le lit.

Je décide d’aller faire un tour au-dessus de la plage en utilisant mes pouvoirs de décorporation. Je quitte Christina pour un temps.

Ce que je découvre est horrible. Des corps déchiquetés, des litres de sang répandu sur le sol, des dizaines de policiers en train de faire les constatations et les relevés scientifiques et plus haut sur un chemin longeant la falaise, les restes de l’incendie, trois SUV complètement détruits et des restes humains calcinés.

Les douze êtres dont les corps viennent d’être pulvérisés, errent misérablement à quelques centimètres du sol. Ils se sont regroupés sur la plage mais sont complètement perdus.

J’ai du mal à ressentir la moindre compassion pour eux mais quelque chose me dit qu’ils ne doivent pas rester là. Je m’approche très lentement et une fois arrivé à bout portant, je fixe mon attention sur chacun d’entre eux.

Lorsqu’enfin ils prennent conscience de ma présence, c’est la panique ! L’angoisse que je génère dans leurs pauvres consciences peu évoluées est incommensurable. Une terreur infinie s’empare d’eux et les fait tournoyer sur eux-mêmes tout en décrivant des courbes en forme de huit à une vitesse telle que la nausée qu’il ressentent est un supplice épouvantable.

Plus je les observe, plus la vitesse augmente. J’ai l’impression que je vais pulvériser ces êtres primitifs par ma seule pensée. Il faut que j’arrête cette torture ! Je ne suis pas sadique à ce point-là. Mais comment faire ? J’ai beau détourner mon attention, le supplice continue et s’amplifie. J’entends maintenant un hurlement silencieux qui se répand dans toute la structure du tenseur d’univers. Je ressens moi-même un sérieux malaise.

  • Tu dois écouter leur histoire et leur pardonner ce qu’ils t’ont fait pour que cela s’arrête !

Le conseil émane de Harry Godson.

Je me mets en position d’écoute. Je découvre alors la vie de chacun de ces êtres. Des vies difficiles, avec des cartes peu favorables au départ, des choix hasardeux, un manque d’intuition sur le chemin à suivre, et je découvre le trajet final qui a conduit à la tentative d’enlèvement ratée. Je découvre qu’ils avaient décidé de violer Christina et de la supprimer ensuite. Le sort qu’ils me réservaient n’étaient pas beaucoup plus enviable. J’encaisse difficilement l’information. La plupart d’entre eux sont originaires de Haïti, les autres viennent de Porto Rico et du Bronx. Ils croient aux esprits et me prennent pour un Invisible, représentant du Créateur, envoyé pour les châtier.

Il faut que je pardonne pour que le supplice s’arrête. Facile à dire, mais je n’y arrive pas. C’est même de pire en pire depuis que je connais le fin mot de l’histoire. Le tenseur fait-il tilt quand il est trop secoué comme un vulgaire flipper ?

Et si je retournais tranquillement dans mon lit ? En prétendant que je n’ai rien vu, rien entendu. Qu’ils se débrouillent après tout ! Je sais, au fond de moi, que c’est impossible. Il faut que je sorte de cette situation par le haut.

Je commence à désespérer lorsque je ressens à côté de moi la présence réconfortante de Linda.

  • Franck, je t’ai déjà pardonné tes écarts avec Christina. Je t’aime plus que tout. Je t’aime comme tu es avec tes qualités et tes défauts. Tu as pris le chemin le plus évident mais est-ce le plus facile ? Nul ne le sait pour l’instant. Ces pauvres hères ont fait le mauvais choix, c’est certain, mais il faut leur permettre de se racheter et de jouer une nouvelle partie, en respectant les règles cette fois.

Je suis tellement heureux d’entendre Linda que je pardonne instantanément à mes agresseurs. Le supplice s’arrête. Ils sont face à moi, immobiles et attentifs. Nous échangeons en silence : Je vous pardonne ce que vous avez fait. Respectez les règles du jeu la prochaine fois.

Ils s’éloignent lentement et finissent par disparaître au loin dans le tenseur.

Linda a également disparu. Je suis seul avec moi-même.

Je jette un coup d’œil sur la plage. Les policiers continuent à s’affairer. Tout est calme maintenant.

Je réintègre mon lit. Christina dort profondément. Je m’endors rapidement.

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