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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 8

Shelter Cove beach

Il n’est que 21 heures 30. Je n’ai pas sommeil. Il fait nuit noire.

  • Que dirais-tu d’aller faire un tour sur la plage, Christina ?

  • Il fait un peu frais, il faut mettre un chandail, mais pourquoi pas !

  • J’aimerais me débarrasser de nos gardes du corps, mais je ne sais pas comment faire. Il y en a même un qui surveille notre fenêtre dehors.

  • Si tu leur demandes gentiment de nous laisser tranquilles…

  • Je vais essayer.

Nous redescendons dans le lobby. Dès que nous franchissons la porte d’entrée de l’hôtel, un garde se présente.

  • Vous allez vous promener ?

  • Oui ! Est-il possible de rester seuls ? Nous allons sur la plage vers la côte perdue.

  • Pas de problème. Je vais placer une mini-balise GPS sur vos cols de veste. Ne les abandonnez surtout pas. Et nous sécurisons la plage. Je vous demande cinq minutes et tout sera prêt. À propos, votre avion a également été sécurisé. Rien ne peut lui arriver.

  • Merci !

Au bout de cinq minutes, le garde revient et nous donne son feu vert pour la ballade. Il porte une tablette sur laquelle s’affiche tous les environs, y compris la plage, comme en plein jour. Je ne sais pas pourquoi, mais cela provoque un frisson dans mon dos. Ils sont vraiment flippants ces agents de sécurité.

Nous nous éloignons rapidement dans le noir. Seules les étoiles nous éclairent faiblement. Nous marchons en silence. Le bruit du ressac est apaisant. La nuit, l’océan est calme.

Après une vingtaine de minutes de marche à un rythme relativement soutenu et assez fatigant sur les gravillons qui recouvrent le sol en couche épaisse et qui s’enfoncent à chaque pas, nous nous arrêtons. Aucune lumière n’est visible. Les rares habitations encore éclairées sont cachées par la végétation ou les rochers. Le ciel étoilé est magnifique, impressionnant, d’une netteté et d’une densité que l’on ne voit jamais en ville.

La falaise derrière nous fourmille de mille bruits ; des oiseaux nocturnes, des insectes et peut-être des petits mammifères se déplacent, se nourrissent, creusent, chassent ou se reproduisent.

Nous nous asseyons sur les gravillons, le dos calé contre un rocher lisse. Christina se serre contre moi, comme si elle était apeurée par ce milieu sauvage. J’avoue que c’est un peu impressionnant au début. Ensuite on s’habitue. La vision se fait plus précise. L’ouïe aussi ! Telles deux sentinelles postées dans la nuit, nous regardons et nous écoutons la vie secrète de cette plage oubliée de tous sauf de la nature.

Je ressens à nouveau cette petite boule au ventre, pas désagréable, juste un peu inquiétante, une sorte de trac comme avant un concert. C’est, en fait, la sensation de participer à la vraie vie, de jouer pleinement son rôle, de ne pas faire les choses à moitié, de prendre des risques… Si tout devait s’arrêter là, je ne regretterais rien. Ce qui m’inquiète dans la vie, c’est plus d’avoir des regrets que des remords.

À cet instant précis, j’ai des remords. Avoir trompé ma femme adorée est difficile à accepter. Mais, était-il possible de résister à Christina ? Je l’aurais regretté toute ma vie.

Carpe diem. Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain.

Je ressens la chaleur de Christina contre moi et une immense tendresse m’envahit. Je la serre un peu plus contre moi. Nous nous embrassons longuement.

Nous sommes enlacés depuis plus d’une demi-heure lorsque j’entends un bruit furtif sur ma droite. J’aperçois deux silhouettes noires qui s’approchent rapidement. Mon cœur s’arrête de battre. Christina ressentant la même tension que moi, s’est crispée elle aussi. Les silhouettes progressent rapidement vers nous, à moins de cent mètres maintenant. J’entends d’autres bruits derrière nous venant de la falaise. Je suis complètement tétanisé. Le danger est donc bien réel. Mais que font nos gardes du corps ?

Je ne sais que faire, fuir ou rester sur place ? Sans armes face à un commando d’hommes déterminés, comment lutter ? Je décide de ne pas bouger. Après tout, ce n’est peut-être qu’un jeu ou une plaisanterie, mais je n’y crois guère.

Si nous pouvions nous enterrer sous les gravillons, nous le ferions. Christina et moi attendons la suite des événements, impuissants, terrifiés, lorsque j’entends plusieurs claquements sourds. Je vois avec horreur à cinquante mètres de nous, deux têtes arrachées et projetées au loin tandis que les deux silhouettes disloquées s’effondrent avec des jaillissements saccadés de sang. Visiblement nos gardes ont tiré sans sommation avec des armes à longue portée et d’une puissance suffisante pour arracher une tête à l’aide d’un seul projectile ! J’entends à nouveau cinq claquements qui atteignent leurs cibles derrière nous. Je n’ose pas me retourner. Des hurlements de douleur retentissent suivis par un nouveau claquement puis tout s’arrête. Le silence est revenu.

La falaise est parfaitement silencieuse maintenant. Un nouveau projectile qui semble encore plus gros que les précédents décrit une trajectoire parabolique depuis la direction de l’hôtel vers le haut de la falaise. Après quelques instants une énorme explosion retentit et des flammes jaillissent dans le ciel. La végétation commence à prendre feu au loin.

Nous restons parfaitement immobiles. Au bout de dix minutes, les trois agents de sécurité viennent nous chercher.

  • Monsieur Schneider, Mademoiselle Shelton, ne craignez rien. Le danger a été éradiqué. Nous vous ramenons à l’hôtel.

  • Qu’est-ce que c’était ?

  • Une bande de malfrats qui cherchaient à vous enlever pour réclamer une rançon. Nous les surveillons depuis des mois.

  • Vous les avez tous… tués ?

  • Oui, il y a 12 morts, 7 sur la plage et 5 en haut de la falaise. Leurs trois véhicules ont été détruits. Nous avons prévenu la police et les pompiers pour éteindre l’incendie.

  • Vous avez des armes redoutables !

  • En effet. Ce sont des armes de guerre employées par les forces spéciales. Mais venez maintenant ! Il faut vous mettre à l’abri. La nuit est fraîche.

Encore tremblants, nous nous levons et commençons à marcher avec difficulté. Deux gardes du corps nous soutiennent et nous aident à rejoindre l’hôtel, tandis que le troisième est en couverture. Ils sont armés jusqu’aux dents.

Après vingt-cinq minutes de marche dans les gravillons, nous arrivons à l’hôtel, épuisés autant nerveusement que physiquement.

Nous nous affalons dans les sièges du lobby où nous attendent trois autres agents de sécurité (mais d’où sortent-ils ceux-là ?) ainsi que Velma, Julian et Alex, très heureux de nous revoir sains et saufs.

L’un des gardes, visiblement le chef, me propose d’effectuer un rapide débriefing des événements.

  • Nous savions que cette bande de malfrats tenterait quelque chose ce soir ou cette nuit. Nous les avions mis sur écoute et avions repéré leur arrivée dans le secteur. Ils vous suivaient à la trace. Lorsque vous avez décidé d’aller faire un tour, nous avons saisi l’aubaine pour leur tendre ce petit piège. Ils ne s’y attendaient pas !

  • Était-il indispensable de les tuer ?

  • C’est la politique de la maison. Notre société de sécurité des biens et des personnes, valeurs fondamentales de la démocratie américaine, souhaite régler les problèmes de façon définitive. Le gouvernement de Californie approuve nos méthodes car elles respectent parfaitement la législation et font faire des économies substantielles à l’état. Vous n’avez normalement plus rien à craindre maintenant. Et aucun procès coûteux n’aura lieu. Il est possible que Umberto nous demande d’alléger le dispositif de protection. Nous verrons cela plus tard.

  • Je le retiens cet Umberto. Il a osé me prétendre que le dispositif de sécurité n’était destiné qu’à faire le buzz !

  • Il ne voulait pas vous inquiéter inutilement.

  • Julian. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais là, j’ai besoin d’un remontant.

  • Champagne ? Alcool fort ?

  • Champagne pour tout le monde !

Velma a l’air ravie. En professionnels irréprochables, les agents de sécurité déclinent poliment ma proposition. Deux bouteilles devraient donc suffire. Nous allons fêter le fait d’être toujours en vie et libres de nos mouvements.

Le champagne est servi à la bonne température ; une vraie perle ce Julian ! Et de délicieux petits canapés sont apportés par Alex dans la foulée. Que ferais-je sans eux ?

Je pense à la chanson de Genesis « The Battle of Epping Forest » et au passage syncopé, dont j’aime le rythme et la sonorité « Handing out bread and jam just like any picnic, picnic, picnic… » et plus loin à nouveau « With tea from a silver pot just like any picnic, picnic, picnic… »

Nous avons eu la bataille et maintenant le piquenique ! Une bataille violente avec des explosions et des morts, à l’américaine, et maintenant le piquenique délicat, sophistiqué, so british ! Comme quoi, on peut vivre plusieurs histoires en une journée.

Je me tourne vers Christina qui a l’air un peu éteinte, assommée par tout ce qu’il vient de se passer. Je trinque avec elle et lui fais un baiser sur la bouche sans me préoccuper des témoins.

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