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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 14
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Le Grand Hôtel de Bolinas

Cela fait près d’une heure que le roadster nous promène entre la baie de San Francisco, de l’autre côté du Golden Gate, et l’Océan Pacifique. À partir de Sausalito, nous empruntons les routes secondaires et rejoignons la « State Route 1 Shoreline Highway », une petite route touristique aux paysages spectaculaires parfois désignée sous le terme de « California Dream Road ». Aucune construction ne vient perturber la beauté de la nature sauvage, préservée de Mill Valley, déserte. Après Mill Valley, nous arrivons à Muir Beach au bord de l’océan puis nous traversons Stinson Beach avant de longer le lagon de Bolinas, cette ville refuge d’anciens hippies et de quelques milliardaires de la silicon valley à la recherche de tranquillité. Aucune pancarte ne mène à Bolinas. Ses habitants sont restés dans le passé, les années 60, et refusent toute évolution ou intrusion de touristes et de promoteurs. C’est la raison pour laquelle ils s’évertuent de façon un peu dérisoire, à détruire les panneaux indicateurs que l’administration replace périodiquement. Un bon GPS suffit pourtant à atteindre cette destination secrète ! C’est ce qui rend la petite ville de 1600 habitants, peuplée d’originaux en tout genre, paradoxalement si attractive !

Elle est construite sur une sorte de péninsule accessible par le nord. Au sud, il y a la baie de Bolinas, à l’est le lagon de Bolinas et à l’ouest l’océan.

  • Linda, que dirais-tu de passer la nuit au Grand Hôtel de Bolinas ?

  • Le Grand Hôtel ? Je n’en ai jamais entendu parler !

  • C’est normal, il n’y a que deux chambres au Grand Hôtel. Et il n’y a que deux hôtels à Bolinas ; je crois savoir que l’autre hôtel n’est pas terrible.

Linda me regarde, l’air rigolarde.

  • C’est une plaisanterie ?

  • Non. Le propriétaire du Grand Hôtel n’est pas un professionnel de l’hôtellerie. Il y est venu par hasard. Un jour, il a trouvé une énorme pancarte ancienne dans les buissons à côté de chez lui sur laquelle était écrit « Grand Hôtel ». Comme cette enseigne lui plaisait, il a décidé de l’accrocher sur sa maison. Les visiteurs ont alors commencé à affluer en lui demandant une chambre. Il leur répondait par la négative en précisant que c’était juste une enseigne et qu’il n’y avait pas de chambre à louer.

  • C’est un grand comique ce gars-là !

  • Oui, il est assez original ! Et puis il a fini par céder aux demandes des clients. Lui et sa famille se sont retirés dans un cabanon situé derrière la maison pour laisser les deux chambres libres. C’est comme ça que le Grand Hôtel de Bolinas a vu le jour ! Il paraît que c’est vieillot, très pittoresque mais propre. La nuitée doit coûter 35 ou 40 dollars avec le petit-déjeuner ou peut-être un peu plus.

  • C’est super rigolo, cette histoire !

  • Oui, je trouve ! J’ai envie d’aller voir. En plus, il a une boutique genre bazard, friperie et brocante au rez-de-chaussée.

  • Bon. J’espère que nous n’attraperons pas de puces !

Cela me rappelle la fois où je cherchais le marché aux puces de San Francisco. J’avais demandé mon chemin à un chinois qui visiblement ne connaissait pas l’existence et la signification de « flee market ». Me prenant pour un plaisantin ou un cinglé, il avait éclaté de rire. Cela m’avait fait rire aussi. C’était mieux que du Michel Leeb jouant au chinois (avec ses grimaces fort réussies et son accent prétendument chinois mais pas réussi du tout d’après les spécialistes de la question). Peu importe ! J’adore Michel Leeb. Dommage qu’il ne fasse plus le noir, le chinois et l’insecte de Baygon vert. Je ne m’en suis jamais lassé ! Imaginez le sketch du « flee market » dit par Michel Leeb ! Tous les ingrédients sont là : le petit chinois (un chinois, c’est toujours petit), la puce (minuscule), les grimaces (énormes) et l’accent venu d’ailleurs...

Pendant que nous nous approchons du « Grand Hôtel », j’appelle pour réserver une chambre :

  • Bonjour ! Suis-je bien au Grand hôtel ?

  • Évidemment puisque vous avez composé le numéro du Grand Hôtel.

  • Avez-vous une chambre disponible ?

  • Oui.

  • Puis-je réserver une chambre ?

  • Oui.

  • Alors, je désire réserver une chambre pour ce soir.

  • Oui.

  • Avez-vous besoin de mon nom ?

  • Non, pourquoi ?

  • Pour que vous sachiez que j’ai réservé une chambre lorsque j’arriverai !

  • Lorsque vous arriverez, je saurai que vous avez réservé une chambre.

  • Comment le saurez-vous ?

  • Parce que vous serez là !

  • C’est une évidence ! Pourquoi viendrai-je vous voir si je n’ai pas réservé de chambre ! Suis-je stupide ! Et si quelqu’un d’autre arrive entre temps ?

  • Vous voulez dire : si quelqu’un d’autre arrive entre temps sans avoir réservé ?

  • Oui !

  • Cela n’arrive jamais.

  • Pourquoi ?

  • Parce que je n’ai que deux chambres et que personne n’aurait l’idée de venir sans réserver !

Je décide de couper cette conversation si pittoresque. Je sens que nous n’allons pas être déçu du voyage.

  • Bon OK. J’arrive avec ma femme d’ici quelques minutes.

  • …/…

Clic. Il a raccroché.

Linda explose de rire. Je reste coi un moment puis éclate de rire moi aussi. Cet endroit est super rigolo.

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