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Roman feuilleton
Épisode 10

Il est 9 heures du matin. Je décide de me lever. Linda est partie travailler depuis longtemps. J’ai presque honte mais après tout c’est notre mode de vie. C’est une femme d’affaires ; je suis un artiste. Le lundi matin, elle démarre sa journée à 8 heures par un comité opérations qui réunit la douzaine de chefs de projet et les six commerciaux qu’elle dirige sur les 120 employés que compte sa société. C’est le plan de bataille de la semaine qui se décide en une heure. À partir de 9 heures, elle reçoit certains cadres en « one to one » pour les décisions stratégiques ou les suivis individualisés ; je ne voudrais pas être à la place de ceux qui subissent un suivi « individualisé » ! Et dès 11 heures, elle va sur le terrain rencontrer ses clients et visiter les chantiers en cours. Ah on ne plaisante pas chez DCA Corp. (Dyer Consulting & Associates). Je suis mieux ici que sous ses ordres. En fait d’associés, nous ne sommes que deux associés principaux, Linda, largement majoritaire et moi. Mais je ne me mêle pas de ses affaires. Je me contente d’encaisser les dividendes, très élevés. En tant qu’associé, je suis très satisfait de la direction de DCA Corp.

En ce qui me concerne, le lundi est assez relax. Il faut se remettre du week-end. Et le lundi au soleil, c’est bien pour échafauder des plans, réfléchir à de nouvelles formes d’expression artistiques, à de nouveaux morceaux. C’est mon Comité Opérations à moi tout seul. Je suis très créatif le lundi, même si je me rends compte dès le lendemain que c’était vraiment nul. Mais pas toujours, fort heureusement ! Le mardi je formalise avec Adrien qui m’aide à canaliser mes idées. Souvent nous improvisons sur un thème et il en sort parfois quelque chose d’intéressant. J’ai conscience que c’est la belle vie, même si cela manque parfois de hauteur et d’ambition.

Notre chef de cuisine a préparé, comme d’habitude, du pain au levain bio encore chaud, et quelques viennoiseries, des fruits frais, du beurre de baratte et des fromages. Tout est installé sur la terrasse donnant sur la petite cuisine proche de ma chambre, où j’ai l’habitude de prendre mon petit-déjeuner. Je commence par un expresso, un moka d’Éthiopie bio issu du commerce équitable, que le robot Magimix me délivre quasi instantanément. Je me débrouille tout seul. Il n’y a personne pour me servir. Je n’aime pas être dérangé le matin. Le cuisinier, son aide et les trois personnes chargées d’entretenir les 600 mètres carrés de la maison ainsi que le jardinier le savent. Ils sont très discrets. Je n’entends pas un bruit. Ils doivent s’affairer dans une partie de la maison éloignée de ma chambre. Le San Francisco Chronicle, le Financial Times et le Mercury News sont disposés sur une table. Je jette un œil sur un article du Mercury News à propos du comportement puéril de Elon Musk. Il aurait mis en vente, en précommande chez The Boring Company,  20 000 lance-flammes juste pour rigoler. The Boring Company, c’est la société qu’il a créée pour creuser des tunnels sous les villes afin d’éviter les embouteillages.

« Editorial : Elon Musk devrait commencer à se comporter comme un adulte »

Il a mis en avant que ses lance-flammes sont garantis pour égayer n’importe quelle fête et qu’ils sont idéaux pour griller les noix. Il a ajouté avec son humour hilarant « Quand l’apocalypse des zombies se produira, vous serez bien contents d’avoir acheté un lance-flammes. Garanti contre les hordes de morts-vivants ou remboursé ! » L’article précise que la distance légale de 10 pieds au-delà de laquelle son lance-flammes serait considéré comme une arme est respectée, mais le rédacteur trouve quand même ce jouet très dangereux. Elon a annoncé que les 20 000 lance-flammes se sont vendus comme des petits pains. Le stock prévu est épuisé. À 500 dollars pièce, il aurait donc engrangé 10 millions de dollars de chiffre d’affaires grâce à cette plaisanterie. Les lance-flammes seront livrés sous trois mois. (*)

Il avait pourtant l’air si sérieux hier. J’éclate de rire. Il a réussi à me mettre de très bonne humeur. Allez ! Je me prépare, une douche rapide ; je ne me rase pas ; une fois tous les deux ou trois jours cela suffit. Il faut que la peau se repose. Je suis pressé d’essayer mon roadster en mode « Père Noël ».

Je me dirige rapidement vers le Golden Gate Bridge et dès que je l’ai franchi, je passe en pilotage autonome, disponible depuis la dernière mise à jour du logiciel exécutée la nuit dernière. Quelle bonne surprise !

Le roadster se comporte impeccablement, change de file tout seul pour doubler les véhicules plus lents, ralentit si c’est nécessaire, met le clignotant quand il le faut et fait même des appels de phare aux imprudents. C’est ahurissant ! Je suis curieux de voir ce que cela donnera en ville.

Après les grandes courbes de l’autoroute en montée, nous arrivons à la hauteur de Sausalito. J’enclenche le mode « Père Noël ». Le système me demande une confirmation. Sans hésiter, je confirme.

…/…

Il ne se passe rien, absolument rien.

Sauf que je suis en train de planer à environ cinquante mètres au-dessus du roadster rouge. C’est pratique cette couleur rouge cerise. Il est plus facile à suivre. La vue est superbe. Un panoramique sur toute la baie. Je vois comme une mouche, avec une petite grille hyper fine, de couleur mauve, un peu scintillante s’étendant à l’infini dans toutes les dimensions et même plus, la matrice quoi ! Je me sens bien. Mais j’y pense, soudainement paniqué, Elon ne m’a pas expliqué comment revenir, enfin comment arrêter le système ! Je suis aussi taré que lui !

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(*) Ces informations ont été effectivement publiées dans le Mercury News du 5 février 2018

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