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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 3

Assis seul dans le carré VIP qui m’a été réservé à La Chapelle, avec mon garde du corps debout derrière moi, je me demande ce que je fais ici. Personne n’est encore venu me demander ce que je désire consommer. Je n’ai d’ailleurs pas envie de consommer. Éventuellement un champagne Sapience, mais ils ne doivent pas en avoir ici.

Cela fait dix minutes que je suis assis. Les clients me regardent comme une bête curieuse quand, enfin, une serveuse très sexy et vraiment canon, m’apporte une bouteille d’eau minérale Wattwiller. Comment ont-ils su ? Et surtout comment ont-ils fait ? On trouve de l’eau d’Évian assez facilement à San Francisco mais de la Wattwiller, je n’en ai jamais vue !

  • Pour vous faire patienter, je me suis permis de vous apporter une bouteille d’eau de votre marque favorite.

Et elle s’en va aussitôt avec un grand sourire. Ce service est vraiment bizarre. Il y a quelque chose qui cloche ce soir ! J’aperçois alors un homme de ma connaissance qui s’approche. Tout de rose vêtu avec quelques touches de bleu layette, il porte un béret assorti du même bleu layette. Cela ne peut être que mon communicant, Umberto. Il ne lui manque qu’un nez rouge. La musique change à cet instant, une reprise de Piano man, de Billy Joël, est interprétée par une voix que je crois reconnaître. De l’endroit où je suis, je ne vois pas la scène, ce qui est assez curieux pour un carré VIP.

  • Bonsoir Franck ! Comment vas-tu ?

  • Bonsoir Umberto. Comme ci comme ça. Heureusement que tu es là. Je commençais à m’ennuyer sérieusement.

  • Je passais par là par hasard et je me suis dit « Voyons voir si Franck ne serait pas à l’intérieur ».

Visiblement il se moque de moi. Quoi que le roadster Tesla rouge et le SUV Mercedes noir garés devant la boîte ne sont pas vraiment discrets. Mais je ne crois pas au hasard.

  • Que penses-tu du service de sécurité que j’ai mis en place ?

  • Ah c’est toi le responsable de tout ça ? Je trouve que c’est horriblement pesant, lourdingue et pas vraiment utile.

  • C’est indispensable au contraire !

  • Indispensable ? Je ne crois pas courir un tel danger qu’il me faille en permanence, une telle escorte !

  • Qui parle de danger ? C’est uniquement pour faire le buzz. Il faut que tu aies l’air d’un homme très important.

  • C’est réussi. Je suis mieux protégé que le Président des États-Unis !

  • Je me suis permis de faire livrer quelques bouteilles de champagne Erick de Sousa, cuvée des Caudalies 2008 ; je pense que tu l’apprécieras.

  • Bio ?

  • Évidemment ! Il a été sélectionné par bon nombre de 3 étoiles au Michelin, Paul Bocuse, Troisgros, Alain Ducasse au Louis XV (Monaco), l’Assiette Champenoise à Reims et bien d’autres ! À mon avis, il vaut ton champagne Sapience 2008 dont tu nous rebats les oreilles.

Et par magie une bouteille et deux verres sont placés sur notre table par la serveuse super sexy. Elle le débouche parfaitement, sans un bruit, juste un petit pschhh. Elle est très classe cette serveuse ! Puis elle remplit les deux verres tulipe au tiers de leur contenance. C’est parfait.

Je me sens déjà mieux qu’en arrivant. Au moment où je porte le verre à mes lèvres, j’entends une marseillaise tonitruante qui résonne dans tous les hauts parleurs de la boîte. Cela dure quelques instants et puis je reconnais la chanson des Beatles « All you need is love » chantée par John, cette fois j’en suis sûr ! Je parle de John, mon guitariste. Et je reconnais la patte d’Adrien à la basse, celle de Phil à la batterie et George à la guitare. Je me demande qui joue du clavier.

Dans la foule qui nous regarde, Umberto et moi en train de déguster cet excellent champagne, je reconnais Linda et Christina qui s’avancent tout sourire vers nous. Les deux compères Harry et Tony suivent. Que me vaut cet honneur ? Une soirée privée à La Chapelle, à l’évidence organisée pour moi. Et comment savaient-ils que je viendrais ici ? Suis-je bête, ils savent mettre à peu près n’importe qui sur le bon chemin, surtout s’ils s’y sont mis à plusieurs ! Je ne me suis rendu compte de rien. Tel le cycliste dopé, je suis venu « à l’insu de mon plein gré » et cela me fait rire. Manipulé et content de l’avoir été.

« Qu’il est admirable de songer que Celui dont la grandeur emplirait mille mondes et beaucoup plus, s’enferme ainsi en nous qui sommes une si petite chose ! » a écrit Sainte Thérèse d’Avila.

Thérèse d'Avila, qui arrêta de jouer sa partie en 1582, fut béatifiée par Paul V en 1614 et canonisée en 1622 par Grégoire XV. Paul VI lui attribua en 1970 le titre de Docteur de l'Église. J’ai noté ce matin en consultant le calendrier que nous célébrons sa fête en ce 15 octobre. Toujours curieux de ces personnages exceptionnels, j’ai parcouru rapidement son curriculum vitae et noté que « Dans une société souvent pauvre de spiritualité, elle nous apprend à être des témoins constants de Dieu, de sa présence et de son action ».

C’est un peu ce que je fais, il me semble. Je me laisse conduire là où le Grand Architecte et ses adjoints me mènent. Témoin et acteur en plus ! Bon d’accord, je suis encore assez loin d’être un saint, mais qui sait, je suis peut-être sur la bonne voie. Le concert de Lourdes se rapproche.

Linda et Christina se ruent sur moi et m’embrassent sur la bouche toutes les deux. Ouh là là ! La sainteté s’éloigne ! Mais je suis rassuré, Christina n’est pas en train de couper les ponts.

  • Nous t’avons préparé une petite surprise. Cela te plaît-il ?

  • Quelle surprise ? Une soirée cochonne ?

  • Non non ! Je sais que tu n’aimes pas la charcuterie, me dit-elle avec un clin d’œil un rien égrillard.

Je reste sur ma faim et attends la suite.

  • J’ai réservé La Chapelle. Toutes les personnes qui s’y trouvent sont nos invités. C’est une sorte de « kick off », la soirée de lancement de la tournée 2021 : « Us on tour ! ». Il reste encore deux mois et demi mais nous pensons tous que c’est prêt. Vous vous êtes tellement investis !

  • Merci ! Vous m’avez fait peur toutes les deux ! Avec Christina qui me faisait la gueule et toi qui était partie sans prévenir, je me suis senti si seul !

  • Oh le pauvre chéri, abandonné par sa cour ! Vide ton verre et rejoins tes musiciens, ils t’attendent.

Je salue rapidement Harry et Tony et me dirige vers la scène accompagnée de Christina qui me tient la main.

Je monte sur les planches sous les applaudissements nourris de la foule des invités. Tout le dispositif est en place, les chœurs, les cuivres, le quatuor à cordes. Le pianiste qui me remplaçait m’a laissé la place aux claviers. Je n’ai pas pu voir de qui il s’agissait. Un deux trois ! Nous démarrons le concert de la tournée. Il est 21 heures.

Tout se déroule exactement comme prévu, sauf que je rejoins le tenseur d’univers dès le deuxième morceau, Go on Christina. Je comprends instantanément ce que Harry Godson m’a expliqué à propos des instances multiples. Je suis complétement immergé dans la musique, je joue ma partie aux claviers, je chante tout en parcourant plusieurs chemins parallèles avec chacun des musiciens et des chanteurs. J’ai l’impression de faire partie d’un tout. Je suis dans la tête de chacun des artistes. Chaque note, chaque accord se positionne parfaitement à la milliseconde près, avec la force, l’amplitude qui convient. Même John qui s’autorise parfois quelques écarts joue sa partie à la perfection. Je suis en eux et ils sont en moi. Je ressens toutes les vibrations, toutes les émotions, tous les bonheurs qui se répandent sur la scène et dans la salle de concert. Je suis même avec Harry qui lui est aux anges. C’est tout simplement beau. Le paradis doit ressembler à ça. Nos invités ont l’air sur un nuage. Ils n’ont jamais assisté à quelque chose de semblable.

Une autre instance apparaît, au-delà de la Chapelle, emportant le bâtiment, ses occupants et les agents de sécurité restés à l’extérieur, dans un mouvement ascendant qui permet à tous de voir la baie de San Francisco illuminée, puis le continent, la planète, le système solaire, la galaxie, l’univers sans limite et Harry Godson, un petit sourire aux lèvres.

Mon ange gardien blessé flotte à côté de moi. Il m’aime à la folie et c’est réciproque.

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