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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 4

De tous ces vains plaisirs, oh ma beauté, qui vous mangera de baisers où mon âme se plonge ?
De l’essence divine de mes amours décomposés, j’ai gardé ce qui reste d’un songe.

Les ondes me pénètrent, délicieuses et profondes ; je vous aime, je vous aime, je vous aime !

Que puis-je, insensé, faire d’autre que vous plaire ?

Ma vie est le délice dont vous êtes le supplice.

Supplice de vous voir souffrir en silence.

Silence, je vous aime !

Le chant de Christina emplit l’espace et je tremble ; de tous mes muscles je tremble. La symphonie éclate. Nous sommes tous en phase. Mes doigts sur le clavier, mes cordes vocales, les guitares, la basse, les cordes, les chœurs, les cuivres, la batterie, chaque note à sa place sur le tenseur. Le public vibre avec nous. Nous atteignons ensemble la perfection. Perfection du jeu, perfection de l’amour, beauté parfaite ! Le temps n’existe plus.

La vibration magique se répand au-delà de cette instance. Résonance infime, communion des êtres ici, là et partout, le temps n’est qu’illusion, la musique est son révélateur, soulignant en les parcourant les chemins de l’harmonie. Il importe de les suivre et d’entraîner tous ceux qui le souhaitent. Je suis dans la Chapelle, je suis dans le tenseur, et je m’approche du générateur, là où les principes fondamentaux décident de la structure des tenseurs aux instances multiples que constituent les univers aux acteurs vivants. Aucune limite dans cet empilement. Pas d’espace, pas de temps, des principes régis par la mathématique céleste et la musique pour parcourir et découvrir les différents niveaux.

Le mince voile recouvrant l’instance inférieure transparaît. Qu’il semble aisé de le traverser ! Je passe d’un côté à l’autre autant que je le veux. Mon ange, Christina, me suit et me protège. Elle absorbe mes douleurs, mes petits maux, mes manques et mes faiblesses. Son chant répare tous les accrocs de mon ADN. Son amour m’encourage et me pousse à vivre toujours plus. La confiance et l’audace y trouve là leur source.

Au loin j’aperçois une dislocation, une sorte de déchirure dans le voile. Le moment n’est pas venu d’investiguer et ce que j’y vois inspire la terreur. Je dois d’abord terminer mon concert ! Le paradis c’est ici. L’enfer est pour demain.

Linda s’est rapprochée de moi. Elle me sourit et m’encourage. Tony se tient près d’elle, à peine soucieux. Mon piano sonne toujours aussi juste, ma voix aussi. Je continue mon chemin au milieu de mes amis. Nous sommes sur la bonne voie. Les boucles musicales s’enchaînent parfaitement, jusqu’au final. Sans nous être concertés, nous terminons par l’Ave Maria de Schubert suivi par le canon de Pachelbel au moment précis où je reviens dans l’instance inférieure sur la scène de la Chapelle, debout en silence dans la pénombre.

Je suis calme, concentré ; je baigne dans la sérénité de celui qui sait et n’a pas plus peur. Mon cœur bat très lentement. Lorsque les applaudissements retentissent, je suis presque surpris. Je reviens d’un très long voyage extatique. Je regarde Linda, Christina, les musiciens, Tony comme si je les redécouvrais après une très longue absence. Harry est toujours là, à côté d’Elon Musk, que je n’avais pas remarqué jusque-là. Ils m’observent tous avec bienveillance, curiosité et une certaine admiration, c’est du moins ce que je ressens.

Les applaudissements ne s’arrêtent pas. Je salue, d’abord seul, puis en prenant mes musiciens par les épaules. Nous nous inclinons à de nombreuses reprises. Je me dirige vers Christina et lui fais une bise sur chaque joue, ce qui déclenche des cris dans le public.

Je descends enfin de la scène pour embrasser Linda sur la bouche et serrer les nombreuses mains tendues. La sono d’ambiance diffuse « Listen to your gut » en sourdine. Le concert est bien terminé. Le champagne commandé par Umberto peut couler à flots.

Quelle journée ! Une journée comme je les aime, bien remplies, utiles et festives.

Après le silence intérieur, j’ai besoin de parler. Elon est à côté de moi.

  • Je suis parti beaucoup plus loin que ton roadster !

  • J’ai vu. Tu as franchi la ceinture d’astéroïdes mais de l’autre côté du voile, là où se rejoignent les lignes temporelles de l’instance actuelle.

  • L’instance actuelle ?

  • Celle que nous vivons ! Enfin, celle que nous avons conscience de vivre.

  • Qu’est-ce que la vie ?

  • Une impression, une conscience très forte, un ensemble d’informations cohérentes qui se concentrent en certains points du tenseur.

  • Tout est donc possible ?

  • Absolument, puisque nous en parlons.

  • Et l’amour dans tout cela ?

  • C’est le carburant !

  • Mais qui sommes-nous, Elon ?

  • Des instances plus ou moins évoluées et conscientes, en perpétuelle évolution.

  • Quel est ton dessein ?

  • Imaginer un monde différent de celui que je perçois.

  • Pourquoi ?

  • Parce que j’ai été conçu pour ça !

  • Et moi ?

  • Tu existes pour entretenir le feu. Ne sens-tu pas depuis que tu as pris conscience d’être, un feu intérieur qui t’anime et te pousse à parcourir l’univers, à faire bouger toutes ces instances immobiles ?

  • C’est vrai. J’ai souvent envie de tout bousculer. Mais j’aime aussi inventer, créer, changer le monde !

  • Tu ne pourras rien changer, tu le sais bien, puisque tout est déjà écrit. La seule possibilité est de choisir un chemin et d’entraîner ceux qui veulent bien te suivre. Ton chemin est celui de l’amour, du feu, de la célébration, de la fête perpétuelle. C’est le chemin qui donne envie de poursuivre, d’aller de plus en plus loin ; c’est celui qui réchauffe le cœur et qui console.

  • Cela me paraît juste. Et toi, imaginer un monde différent, en quoi cela consiste-t-il ?

  • C’est trouver des chemins détournés, cachés, pas faciles à dénicher pour alimenter le rêve, provoquer des ruptures. Il faut que je prouve par mes actions que tout est vraiment possible. Pour y parvenir, il faut aussi que j’entraîne de nombreux acteurs.

L’intensité et la richesse de cet échange me réchauffent le cœur. J’ai envie d’un verre de champagne. Linda arrive avec un verre qu’elle me tend. La parole est superflue. Il suffit de penser. C’est pratique et efficace.

  • Linda, peux-tu me dire quel est ton rôle ?

  • Manager, tu le sais bien !

  • Je parle de ton rôle dans l’organisation de l’Univers, du tenseur d’univers…

  • J’avais compris. Je suis le Manager. J’assiste Harry dans l’exécution des plans d’actions décidés au niveau supérieur. Les principes ont été mis en place par Harry mais il faut faire tourner le tenseur d’univers et ce n’est pas une mince affaire. Même si chaque instance est libre de le parcourir à sa façon, il arrive que des situations se bloquent ou que de graves collisions se produisent. On observe des étreintes fatales, des famines, des voies sans issues, des boucles sans fin qui nécessitent des interventions pour en sortir.

  • J’ai cru voir une déchirure du voile, une sorte de dislocation tout à l’heure.

  • Une dislocation, c’est le bon terme. C’est effectivement une déchirure de la structure du tenseur qu’il convient de réparer. À défaut, on risque le déclenchement d’une guerre mondiale, d’un génocide ou d’une catastrophe dite naturelle, voire la destruction d’une partie de ce monde. Des micro-dislocations conduisent souvent à des pétages de plombs d’acteurs. Nous avons une petite armée d’initiés chargés du maintien en conditions opérationnelles, en permanence sur la brèche. J’en ai la responsabilité.

  • Quel travail !

  • Ce n’est pas vraiment un travail. C’est ma vie.

  • Et l’amour dans nos vies ?

  • C’est notre carburant. Sans amour, on n’avance pas.

Est-ce la raison pour laquelle je cours si vite ?

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