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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 11

Je m’éveille lentement, complètement shooté. Mes muscles sont détendus. Je suis léger comme une plume. Mon cœur bat très lentement, imperceptiblement. Je me sens bien, trop bien ! Je suis allongé en hauteur sur une espèce de brancard relativement confortable. J’ai encore en mémoire les fleurs, les senteurs paradisiaques et la main de … cette merveilleuse femme, ma femme ?

Où étais-je ? Où suis-je maintenant ?

  • Monsieur Vigneulles, réveillez-vous !

Je n’ai pas envie de me réveiller. Je garde les yeux fermés, mais on insiste :

  • Monsieur Laurent Vigneulles, il faut vous réveiller ! Est-ce que vous m’entendez ?

  • Oui, je vous entends, mais de grâce, laissez-moi dormir. Je suis si fatigué.

  • Il faut vous réveiller ! C’est l’effet de la morphine que vous ressentez. Faites un effort !

J’ouvre péniblement un œil. Ébloui par la lumière vive, je ne parviens pas à ouvrir le deuxième. J’aperçois une vague silhouette blanche penchée sur moi.

  • Où suis-je ? Que m’est-il arrivé ?

  • À l’hôpital Bicêtre. Vous avez eu un accident de la circulation sur le périphérique au niveau de la porte d’Italie. Votre voiture a été écrasée par un camion. C’est un véritable miracle. L’opération a duré quatre heures, mais les chirurgiens sont très satisfaits du résultat.

  • Qu’est-ce que j’ai eu ?

  • Les deux jambes broyées. Ils ont dû amputer.

  • Ils m’ont amputé des deux jambes ?

  • Oui. C’était la seule façon de vous sauver. D’autres organes ont été touchés dans l’abdomen. Un deuxième chirurgien a réparé les dégâts à ce niveau. Tout va bien maintenant. Il a également fallu réduire une fracture du poignet droit qui est plâtré comme vous pouvez le voir.

  • Je suis donc réduit !

Étonné de ce trait d’humour presque involontaire, je poursuis :

  • Que vais-je devenir maintenant ?

Je pense à la réplique de Louis de Funès à Bourvil dans le film « Le corniaud » : « Un piéton ! », mais cela ne marche pas… sans jambes.

  • Vous serez pris en charge par la Sécurité Sociale. Une fois que vous serez remis de cette opération, vous irez en rééducation. Par la suite en fonction de votre situation, vous aurez probablement droit à une aide à domicile et à une pension d’invalidité.

C’est vrai que nous sommes en France. Le fameux modèle social français se révèle parfois utile. Il laisse la plupart des gens dans la merde mais quand on l’est vraiment, c’est-à-dire un peu plus que les autres, il permet de l’être un peu moins. C’est pratique !

Je suis cadre supérieur dans une grande société, Jap Kemini, le numéro un européen des services en logistique industrielle. J’étais convoqué ce matin à onze heures à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour insuffisance de résultats (par rapport à mon salaire). Évidemment j’ai contesté les reproches qui m’étaient faits mais sans grande conviction. En fait, j’en avais assez de ce travail. Lassé de ces luttes intestines pour de petits pouvoirs assez minables, je n’étais plus le politique avisé que j’avais été pendant tant d’années. Je me suis laissé débordé par de plus jeunes que moi, beaucoup plus cons, mais plus optimistes quant à leur avenir au sein de l’entreprise. Je me suis donc fait virer comme un malpropre aujourd’hui.

Si j’ajoute à cela la séparation en cours avec mon épouse, mes problèmes récurrents de santé, l’éloignement de mes deux enfants, l’accident de cet après-midi probablement dû à mes préoccupations, l’amputation de mes deux membres termine cette journée en apothéose ! C’est le pompon, la cerise sur le gâteau, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Quelle journée de merde !

Si seulement, je pouvais retourner dans mon rêve ! Cette montée des marches paradisiaques avec une femme superbe, amoureuse et que j’aimais à la folie.

Après quelques heures passées dans la salle de réveil, un brancardier vient me chercher pour m’amener dans la chambre qui m’a été réservée. Il a l’air guilleret. Il sifflote tout en me transportant comme un paquet inerte, sans trop se préoccuper de moi, en cognant parfois les portes avec le brancard. Visiblement il pense à ce qu’il va faire après son travail, au pot qu’il va prendre avec ses copains au bar du coin avant de rejoindre sa compagne dans un studio des Buttes Chaumont ou d’Ivry sur Seine. Quel homme chanceux ! Il va sûrement baiser ce soir. Moi pas.

Au fait, ils m’ont coupé les jambes mais j’espère que mon engin est encore pleinement opérationnel ! Il ne manquerait plus que ça…

Je réfléchis un temps. Certes, la colonne vertébrale n’a pas été touchée, il doit donc fonctionner, mais une question me taraude l’esprit : Comment fait-on pour baiser sans les jambes ? Il faut probablement se tortiller comme un vers de terre ! Je commence à vraiment déprimer.

Une bonne maladie de Parkinson pourrait peut-être aider. Si le corps s’agite naturellement dans tous les sens…

Je finis par éclater de rire, ce qui étonne l’infirmière qui vient de pénétrer dans la chambre. Elle est très jolie. Ses cheveux blonds cendrés sont relevés en arrière en queue de cheval ; elle porte une blouse blanche assez courte pour dévoiler ses jolies jambes. Elle s’appelle Christine. Je tombe instantanément amoureux.

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