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Roman feuilleton
Épisode 18

Falcon 8X - Dassault Aviation

Trois mois se sont écoulés depuis la grande fête du 23 juin 2020. Linda a complété ma formation d’initié. Je suis maintenant capable de me projeter là où je veux dans le tenseur d’univers et de revenir à mon point de départ dans l’instance inférieure en utilisant ma capacité intrinsèque de projection mentale.

Quand j’ai découvert, courant juillet, que j’étais capable de modifier légèrement le cours naturel des choses, par ma simple volonté, j’ai eu du mal à y croire. Je l’ai pourtant dûment vérifié sur une chasse d’eau défaillante. Les déchets organiques et les papiers que l’on y jette ont tendance à tourner en rond dans la cuvette et ne sont pas aspirés dans le siphon comme cela se produit avec une chasse d’eau normalement constituée. C’est horripilant. Il faudra que je la fasse réparer.

J’ai cependant constaté qu’en fermant les yeux pendant la mise en fonction de la chasse, et en me concentrant sur l’événement cuvette parfaitement vidée et propre, cela fonctionne. L’aller-retour dans le tenseur d’univers est très bref, à peine perceptible, mais je parviens à modifier ce qu’il se passe dans l’instance inférieure. Une chasse d’eau qui ne fonctionne pas se met à fonctionner ponctuellement ! Ce mécanisme surprenant est reproductible à chaque fois. Si je ne fais rien, les déchets sont là, si je me concentre, ils sont aspirés.

Cette première expérience, quasi scientifique, même si elle prête à sourire, a été confirmée par d’autres tout au long de l’été.

Un conflit m’opposait de longue date à l’administration fiscale. Nous n’étions pas d’accord sur l’interprétation d’un texte de loi et bien évidemment, l’application qu’en faisait l’administration m’était très défavorable, ce que je contestais. Lassé par les années de procédures, je m’apprêtais à jeter l’éponge et à accepter le redressement, simplement pour en finir et passer à autre chose. Et puis, j’ai eu un sursaut d’énergie. Je n’aime pas renoncer. Je me suis projeté dans le tenseur à la recherche du secteur concerné. J’ai pu observer l’inspecteur, comprendre son raisonnement, saisir ses propres doutes quant au bien-fondé de sa proposition de rectification, au demeurant assez complexe à rédiger. J’étais lui, j’étais dans sa tête. J’ai imaginé puis conceptualisé un chemin où il renonçait au redressement, par facilité, cela lui évitait de rédiger un texte compliqué qui pourrait être contesté avec des arguments valables et pourrait lui créer d’autres problèmes, mais aussi par mansuétude ; il imaginait la satisfaction du contribuable ayant obtenu gain de cause grâce à lui. Je l’ai vu basculer un vendredi après-midi. Il était alors sur le bon chemin et j’avais gagné. Mon téléphone portable a sonné en fin d’après-midi ; je savais que c’était lui avant même de décrocher. Il semblait heureux de m’annoncer la bonne nouvelle. Là, je me suis senti fort et impressionné par ce succès.

Par la suite, j’ai appris que Linda m’avait un peu aidé dans cette affaire. Elle voulait que je réussisse pour je prenne confiance en moi. L’inspecteur des finances avait donc subi une double incitation à changer de chemin, celle d’un jeune initié et celle d’une experte en manipulation mentale !

J’ai également changé ma façon de travailler avec l’orchestre. Même si nous répétons, je passe énormément de temps à imaginer le chemin du succès. La répétition se fait essentiellement dans ma tête, de l’autre côté. Le concert s’est déjà déroulé, j’ai parcouru le chemin avec tous les détails, les réactions des spectateurs, l’enthousiasme, la communion des esprits avant même que le rideau ne s’ouvre. C’est une sorte de déjà vu conscient et provoqué. Comme je connais parfaitement le chemin, tout coule de source et se passe à merveille et étonnamment, les autres membres de l’orchestre sont aussi touchés par cette grâce. À l’évidence, le chemin qui intègre d’autres acteurs les intègre réellement.

Sans maîtriser le processus comme aujourd’hui, je pratiquais déjà cette méthode pour les exposés techniques, commerciaux ou managériaux dans mon « ancienne » vie d’ingénieur. L’excellence de mes exposés reposaient sur une projection mentale préalable, longuement répétée dans ma tête, en silence, pendant des jours et des nuits. Je profitais de chaque moment disponible en train, en taxi, en voiture, en mangeant, avant de m’endormir, pour faire et refaire le chemin en ajustant la trajectoire à chaque passage. L’essentiel se faisait en temps masqué.

J’avais déjà parcouru le chemin de nombreuses fois et ne faisais que le parcourir à nouveau le jour de l’exposé. Les supports projetés à l’écran n’étaient que des illustrations pour faire joli. Je parlais naturellement, sans lire, sans réciter, comme dans la « vraie » vie quand on ne ment pas. Et mieux ! Les réactions de l’assistance étaient celles que j’avais prévues au moment où je les avais prévues.

Je refusais les répétitions en live qui auraient perturbé cette belle mécanique. Si je devais intégrer mon exposé dans un show plus large, ma partie n’était pas jouée en répétition. Je me limitais à expliquer ce que je dirais ou ferais le jour J. Cela perturbait et inquiétait mes collègues, peu habitués à ce genre de fantaisie, mais je n’en avais cure.

L’album de treize titres que nous avons finalisé à la fin de l’été se vend comme des petits pains. Tony a distillé les morceaux petit à petit dans les médias en commençant dès le début du mois de juillet par Coming Back Home qui a fait un triomphe immédiatement.

Les droits attachés à la création, à l’interprétation et à l’édition auxquels nous sommes tous associés remplissent nos comptes en banque à une vitesse que nous n’avons jamais connue et que nous n’envisagions pas avant plusieurs années, dans nos prévisions les plus optimistes.

Je songe à investir dans un jet privé en association avec Linda. Ce sera un outil de travail utile aussi bien pour elle que pour moi. Flexibilité et sécurité sont les principaux avantages de ce moyen de transport certes coûteux mais quasi indispensable pour contrer les inconvénients liés à la notoriété. Je me vois mal affronter les hordes de fans à chaque fois que j’aurai à me déplacer.

Donc tout va bien pour nous tous, sauf que j’ai toujours une boule au ventre quand je pense à Christina. Les examens ont confirmé la présence d’un nodule cancéreux au sein droit et les soins, plutôt agressifs ont commencé dès le début du mois de juillet. Il était impossible d’aller plus vite.

Christina a dû subir une mastectomie partielle avec curage ganglionnaire, suivi d’une radiothérapie complémentaire. Ces traitements l’ont laissée dans un état de fatigue inquiétant. J’espère qu’elle tiendra le coup.

Je suis allé investiguer dans le tenseur. J’ai pu constater l’ornière dans laquelle elle est engagée et de même que pour l’inspecteur des finances, j’ai pu observer de l’intérieur sa situation. Avant de s’inquiéter pour son propre devenir, elle s’inquiète terriblement pour l’avenir de son fils. Elle est déprimée ; on le serait à moins !

Mais elle a une confiance illimitée en la médecine. Elle pense que si eux ne peuvent pas la sauver, personne ne le pourra. Elle envisage déjà la fin de la partie. Son fatalisme ne l’empêche pas d’exprimer une immense gratitude pour ce que nous avons fait pour elle et son fils. Elle se sent bien chez nous mais a de terribles crises d’angoisse lorsqu’elle est seule la nuit.

Elle a conservé son poste mais nous la sollicitons assez peu et l’équipe pallie sa moindre implication avec beaucoup de générosité. Linda et moi hésitons à recruter une personne supplémentaire pour des raisons bien compréhensibles.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est son manque de combativité. Va-t-elle réussir à trouver les ressources à l’intérieur d’elle-même pour sortir de l’ornière où elle est embourbée ? La médecine suffit rarement.

Le problème n’est pas simple à résoudre et j’avoue que je me sens un peu démuni. Lorsque j’en parle à Linda, elle me rassure sur la qualité de sa prise en charge par les médecins. Je n’ose pas lui parler de mes incursions dans le tenseur ; je les vis un peu comme une violation de domicile et même un peu plus. Je ne sais pas non plus comment aborder le problème avec Christina, ici.

La situation me semble d’autant plus injuste que Christina est une personne dont la beauté extérieure, pourtant hors du commun, est le pâle reflet de sa beauté intérieure. Sa gentillesse, son dévouement, sa nature franche et honnête, son courage sont si estimables qu’on ne peut que lui souhaiter le meilleur. Elle me fait penser à un ange blessé.

Je fais de sa guérison une affaire personnelle qui me tient tellement à cœur que je souffre de ne pas savoir quoi faire pour atteindre l’objectif. En persévérant, je finirai bien par trouver.

J’ai rendez-vous avec Tony à Sacramento à 15 heures. Peut-être pourrai-je lui demander conseil.

Sur la route, en mode pilotage automatique que j’utilise quasi exclusivement maintenant, il me vient une idée, peut-être un peu farfelue. Avant de voir Tony, je vais faire un long voyage dans le tenseur. J’ai quelque chose à vérifier.

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