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Roman feuilleton
Saison 3 - Épisode 1
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C’est mouillé, c’est doux, c’est chaud. Je dors, je m’éveille, je m’endors. Douce torpeur…

Le battement régulier du tambour rythme l’espace. Je sors de nulle part. Confiné dans mon cocon, je ressens l’éternité de ce monde douillet où j’apparais doucement. Où suis-je ? D’où viens la matière qui me constitue ? Quelle est ma destination ?

Je flotte relié au cordon qui nourrit mon corps.

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Des sons assourdis me parviennent, certains lointains ne me concernent pas, d’autres plus proches, plus doux, plus profonds s’adressent à moi, pleins d’attention, remplis d’amour. Un sentiment de bien-être infini m’envahit.

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Je m’éveille à nouveau. M’enhardissant, je commence à explorer le cocon qui me protège. Avec mes pieds, mes mains que je tends le plus possible, je touche la paroi, douce et chaude, toute proche. Elle est souple, se déforme sous la pression que j’exerce, mais ne rompt pas. Qu’y a-t-il au-delà ?

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Un être m’abrite et me protège. Je grossis de jour en jour. La machinerie qui m’entoure semble se dupliquer à l’intérieur de mon corps. Un battement similaire au tambour qui rythme mes journées fait écho en moi en plus faible mais plus rapide. Des bruits d’écoulements, de tuyauterie et des craquements retentissent parfois. Tout semble si compliqué mais cela fonctionne.

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Quelqu’un a décidé que je dois vivre ici, dans quel but ?

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J’ai l’impression d’être connecté à l’être qui me protège. Je ressens sa faim, ses désirs, ses craintes, son contentement, son plaisir. Parfois des secousses parcourent toute la machinerie, des cris, des halètements accompagnés d’intenses vibrations retentissent. Je ressens alors des décharges saccadées provoquant un plaisir intense, suivi d’un bien-être extrême. Je m’endors juste après et plonge dans le néant.

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Une douce mélodie envahit l’espace accompagnée par la voix de ma protectrice. Je sors de mon corps ; je flotte doucement dans l’espace sombre, inconnu mais rassurant. Je suis au paradis. Un autre tambour rythme la musique, puis d’autres instruments se font entendre et d’autres voix en chœur. Mon cœur s’accorde sur celui de celle que j’appelle maman et sur le rythme du tambour saccadé. Des cordes pincées, des cordes frappées s’immiscent en moi. Tout se mélange en une suave harmonie.

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Maman laisse aller son esprit. Elle ressent les ondes de l’univers qui la traversent. Avec sa guitare, elle les reproduit. Son chant module la trame. Les paroles qui ne signifient rien pour moi, envahissent l’espace mélodieux qu’elle découvre avec moi.

Sa voix est si douce.

Elle et moi déroulons lentement l’axe du temps.

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Depuis ce matin des changements sont intervenus. Notre destinée commune semble toucher à sa fin. La place commence à manquer. J’étouffe ici. Il va falloir que je sorte. J’ai peur. Maman aussi !

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Il fait nuit noire. Une force inéluctable me comprime de toutes parts. Je ne sais que faire pour m’en sortir. L’issue n’est pas visible. L’angoisse, étouffante, m’envahit. Je suis seul au milieu de nulle part. Le chemin est de plus en plus étroit mais il est impossible de faire marche arrière. C’est l’horreur absolue. Je vais mourir, c’est sûr. Ce bout de chemin parcouru, à l’origine inconnue et à la fin si proche maintenant, est complètement absurde. Quel est le sadique qui a imaginé un tel scénario ? Je pousse un hurlement qui me déchire les poumons.

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Nous sommes le 21 décembre 2020. Je viens de naître.

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