Revenant (Returning home)

Le monde, le vide, le rien, le silence absolu. Tout est là et c’est si vide !

Et puis soudain, au milieu de ce néant, mais est-ce bien le néant ? la conscience. La conscience d’un univers immense, sans limites et cette sensation vertigineuse de déplacement instantané dans le temps, dans l’espace, dans la pensée, dans les concepts. Suis-je seul ?

Un bourdonnement bizarre, une onde se propage instantanément dans toutes les directions, vers l’avenir, vers le passé et se reboucle sans fin en un réseau si finement maillé qu’il ne devient perceptible que lorsque la conscience de l’Être s’intensifie, d’abord indépendamment de toute volonté, de toute pensée, puis, très progressivement, sous l’impulsion de ma propre volonté.

C’est merveilleux. Je suis un enfant qui vient de naître. Je vois. Je comprends. Je sais.

Je découvre alors la futilité et l’importance de ma vie passée. Je m’éveille !

Tout s’éclaire en un éblouissant feu d’artifices, comme si l’on avait décidé de m’accueillir enfin dans ce monde sans limites.

Et puis, la musique explose !

Moi qui ai tant peiné à déchiffrer, à inventer quelques mélodies insignifiantes, je plonge dans un océan de raffinement sonore et lumineux. Puissant, sophistiqué, grandiose ou délicat murmure chatoyant quand je le veux.

Je décide de profiter pleinement de mes nouvelles possibilités.

Sous le maillage fin, je découvre une infinité de points lumineux, des mondes, des êtres, des consciences, de l’énergie à l’état pur, de l’information,… et un puis un sentiment lointain d’amour absolu, de compassion, de don de soi, de pardon.

J’entre soudain dans une boucle musicale aux ramifications infinies, certaines familières, d’autres étranges et cependant familières aussi. Je parviens à distordre les sons, les timbres, les couleurs, à les enrichir d’instruments inconnus ou à les dépouiller jusqu’à les réduire à un fil ténu s’enroulant jusqu’à l’infini.

L’ADN, l’ARN, les origines de la vie, les origines de ma vie sont là !

Une mélodie ancienne et intemporelle s’insinue en moi me rappelant vers ma vie passée.

L’heure de la revue a sonné.

Un policier, en uniforme, frappe assez violemment sur la vitre latérale gauche du roadster, arrêté sur la bande d’arrêt d’urgence, warning allumé, alarme sonore hurlante. Le retour à la réalité (quelle réalité ?) est violent.

Je touche le volant, l’alarme sonore s’arrête et j’ouvre la vitre latérale.

• Bonjour Monsieur Schneider, vous avez eu un malaise ? La société Tesla vient de nous appeler en nous signalant un problème sérieux sur votre véhicule. Ils nous ont communiqué votre nom et votre position exacte il y a cinq minutes. Nous avons fait au plus vite.

Effectivement, la voie de droite est condamnée sur au moins 800 mètres et deux voitures de police, gyrophares allumés, encadrent mon roadster. Un radar de contrôle de vitesse a été installé pour dissuader les automobilistes de dépasser la limite provisoire affichée sur les panneaux lumineux en amont de l’incident. Les services de police sont efficaces dans la région ! Je me dis que nos impôts sont utilisés à bon escient. Sécurité avant tout ! Et puis je repense à ce qui vient de m’arriver. C’est tellement incroyable !

• Bonjour Monsieur l’officier Carson. Merci pour votre intervention rapide. Vous êtes efficaces à Fairfield !

Son nom est sur sa plaque ainsi que l’unité dont il dépend. Sa caméra embarquée enregistre notre conversation. Nous sommes au niveau de Fairfield  à moins de 70 kilomètres de Sacramento, ce que le GPS me confirme.

• Merci du compliment. Les CHP (California Highway Patrol) sont fiers de ce qu’ils font. Alors que s’est-il passé ?

• Quelque chose de tout à fait étrange. Je n’ai pas vraiment perdu conscience mais je me suis décorporé. La voiture a poursuivi son chemin sans moi, enfin… sans ma conscience !

• Je vois. Bizarre en effet. Heureusement que votre voiture a pris les choses en main efficacement elle aussi. Un témoin nous a appelé et signalé que votre voiture s’était mise en warning tandis que vous sembliez dormir au volant. Elle s’est rabattue de voie en voie en alternant warning, clignotant droit et klaxon et a fini par s’arrêter impeccablement sur la bande d’arrêt d’urgence. C’est à ce moment là que Tesla nous a contacté.

• On se sent en sécurité dans un tel véhicule ! Je ne savais même pas qu’il était capable de faire ça.

• Puis-je vous demander si vous avez consommé de l’alcool ou des substances illicites au volant ?

Il a bien fait de préciser illicites au volant. En Californie il n’y a pas grand-chose d’illicite lorsqu’on est installé dans son salon.

• Non, Monsieur l’officier. Je suis un régime très strict, bio, sans alcool, sans drogue de quelque nature que ce soit.

L’officier de police Carson s’éloigne alors pour téléphoner. Il doit prendre quelques renseignements me concernant. Puis il revient, me souhaite bonne route et me salue.