top of page
Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 13

Nous sortons du Golden Boy Pizza, rassasiés mais légers et en grande conversation avec une bande de filles, des touristes japonaises un peu excitées par l’ambiance débridée de la ville et curieuses de tout. Je convoque mon roadster qui est maintenant stationné dans notre garage. L’arrivée est prévue dans trente-deux minutes, vers 14 heures 45. L’une des japonaises me demande ce que je fais sur mon téléphone. Je lui explique, ce qui déclenche un cri de surprise ; puis une conversation animée, ponctuée de gloussements et de rire, s’engage avec ses amies. Elles veulent toutes voir l’application Tesla et surtout la progression de ma voiture sur la carte. À l’heure prévue, le roadster rouge apparaît au coin de Columbus Avenue, provoquant des cris de joie de la petite troupe de filles à laquelle se sont joints d’autres curieux. Il tourne dans Green Street, s’approche en silence et finit par s’arrêter juste devant nous. Bien qu’habitué à son fonctionnement complètement autonome, je reste impressionné par la performance et l’allure extraordinaire de ce robot. Je comprends les réactions enthousiastes de la foule.

Linda s’installe au volant. Je reste sur le trottoir répondant aux questions des jeunes-filles :

  • Où allez-vous ?

  • Je ne sais pas. Nous allons nous promener un peu au hasard, là où la voiture nous emmènera.

  • C’est elle qui choisit ?

  • Si on lui demande de le faire, oui ! Si un rendez-vous est prévu dans l’agenda elle vous y emmène après vous avoir demandé votre accord. On peut aussi lui dire d’aller autre part ou de rentrer à la maison.

  • Linda, que dirais-tu d’une ballade de l’autre côté du Golden Gate vers Marin County ?

  • Bonne idée !

  • GPS initialisé pour une promenade de deux heures vers Marin County. Franck et Linda, êtes-vous d’accord ?

Je réponds :

  • Nous sommes d’accord, GPS !

  • J’attends que vous vous installiez sur le siège passager, Franck ! N’oubliez pas d’attacher votre ceinture.

Je m’installe, boucle ma ceinture et fait au revoir de la main aux japonaises, éberluées. La porte se referme et le roadster démarre lentement après avoir mis le clignotant. Je saisis la main droite de Linda, inutile en conduite automatique, et la garde contre moi. J’aime la chaleur de ce contact. Nous nous laissons aller au gré de la progression du roadster qui choisit les rues et les points de vue les plus remarquables vers le Golden Gate.

Dans Hyde Street, nous accompagnons un cable car qui descend vers le terminus en freinant fortement. J’ouvre le toit du roadster pour profiter de l’air ambiant et de la vue sur les passagers assis ou debout et accrochés en grappes aux barres de maintien du cable car. J’en profite pour prendre la tête de Linda et lui faire un baiser prolongé, ce qui provoque l’effroi des touristes qui nous observent de leur position haute. J’entends des cris d’horreur. Ils croient que nous sommes fous et allons provoquer un accident. Nous éclatons de rire en même temps et tournons nos têtes à gauche vers le haut en faisant coucou des deux mains. Ils continuent à nous regarder avec des yeux exorbités, complètement paniqués. Trompant le système de sécurité du roadster je sors de ma ceinture de sécurité tout en la laissant enclenchée et me mets debout sur le siège. J’invite Linda à faire de même. Elle est écroulée de rire. Après une hésitation, elle fait comme moi. Nous sommes maintenant tous les deux debout le torse et la tête émergeant complètement de la voiture. Le roadster continue son chemin sans broncher. Elon Musk et ses programmeurs n’ont pas prévu que l’on déconne à ce point-là.

Nous reprenons le baiser fougueux là où nous en étions restés lorsque nous étions assis. Les passagers du cable car finissent par comprendre que notre voiture se débrouille toute seule et se mettent à rire eux aussi. Linda leur tend sa main droite en vue d’un bain de foule motorisé. J’essaye de l’imiter mais je suis un peu loin.

Pendant notre délire, nous n’avons pas remarqué la voiture de police qui nous suit. Le coup de sirène que le policier intrigué par notre manège vient de donner, nous fait sursauter. Nous nous laissons tomber sur les sièges. Les ceintures sont attachées mais sont franchement inefficaces puisqu’en dessous de nous. Je défais la mienne pour la remettre correctement, ce qui provoque le déclenchement de l’alarme sonore. Linda tente de faire la même chose, mais là, le roadster, n’appréciant pas du tout la manœuvre, s’arrête, sirène hurlante et warnings allumés.

La voiture de police pile derrière nous, manquant de peu de nous emboutir par l’arrière. Il faudra que je suggère à Elon un traitement plus mesuré de cette alarme !

Lorsque le policier, très sérieux et visiblement pas content du tout, arrive près de la porte côté conducteur, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un fou rire. Linda est toute rouge. Le policier hurle : « Will you stop screwing around ? », ce que l’on peut raisonnablement traduire par « Allez-vous cesser de faire les cons ? ». Toujours amusé, je lui réponds :

  • Immédiatement, Monsieur le policier !

  • Arrête de te foutre de ma gueule, toi ! Ou je te coffre.

M’adressant à Linda :

  • Il m’a l’air très énervé, ce flic !

Je ne laisse pas le temps à Linda de répondre quoi que ce soit. J’enchaîne à l’intention du policier :

  • Loin de moi l’idée de me foutre de votre gueule, Monsieur le policier. Nous avons eu un problème très irritant pour nos derrières, peut-être des piqûres d’aoûtats. C’est extrêmement douloureux. En plus, ils sont microscopiques ! Ils sont pratiquement invisibles, un peu comme les tiques nymphes. Nous avons été forcés de nous lever pour soulager la douleur !

Linda me regarde de plus en plus inquiète. Elle craint que je n’éclate de rire au milieu de ces explications foireuses. Le policier me regarde intensément avec un regard très noir, ne sachant pas quelle attitude adopter. Linda prend alors la parole :

  • De plus, ce véhicule fonctionne de façon autonome. Le fait de se lever n’entraîne aucun risque d’accident, sauf éventuellement pour nous-mêmes, mais vous l’avez compris, comme vous l’a expliqué Franck, il s’agissait d’un cas de force majeure !

  • Franck ? Quel est votre nom de famille ?

  • Franck Schneider.

  • Vous êtes Franck Schneider le leader du groupe Us ? Je suis un fan ! J’ai tous vos disques. C’est dingue ! Je ne vous avais pas reconnu ! Je peux avoir un autographe ? Maintenant, j’y suis ! Vous êtes son épouse, la fameuse Linda Dyer ! Heureusement que vous avez déc… eu ce petit problème d’aoûtats !

  • À quel nom dois-je adresser l’autographe ?

  • Mike Fairson ; non, Mike suffira. Je suis vraiment ravi d’avoir fait votre connaissance.

  • Laissez-moi vos coordonnées. Je vous ferai parvenir des invitations à mon prochain concert dans la région ainsi qu’un enregistrement inédit.

Le policier a l’air ravi. Il a oublié nos conneries, enfin je l’espère !

  • Merci mille fois, Franck. Pour l’amende, je vous l’envoie à quelle adresse ?

Il en a l’air capable, le bougre ! Je m’apprête à lui indiquer notre adresse quand il éclate de rire :

  • C’est une blague ! Mais soyez un peu plus sérieux dorénavant !

Nous lui serrons la main et redémarrons tranquillement, un sourire imperceptible aux lèvres.

bottom of page