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Roman feuilleton
Saison 2 - Épisode 15
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Bolinas Grand Hotel - Shop and Gallery

Nous arrivons enfin au Grand Hôtel de Bolinas.

Le roadster s’arrête juste devant l’entrée, en silence. Nous restons immobiles, impressionnés par l’endroit, désolé, fouillis, herbeux, perdu au milieu de nulle part. Le silence qui règne à l’intérieur du roadster semble se prolonger à l’infini autour de ce lieu insolite, sombre et quelque peu inquiétant.

Nous nous décidons enfin à sortir et restons debout sur le trottoir face à l’Hôtel qui semble complètement vide. Après un moment d’observation, j’entends le roadster qui redémarre derrière nous et s’en va je ne sais où, sans préavis.

Je reste figé sur place observant la Tesla disparaître au coin de la rue.

Se retrouver seuls, sans voiture, sans bagages en un endroit pareil, provoque une sensation de dénuement, de nudité et de quasi désespoir !

Je regarde Linda qui semble aussi perdue que moi, le regard dans le vague, un léger tremblement sur les lèvres. J’ai froid.

Lorsque je me rends compte que j’ai laissé mon iPhone dans le réceptacle prévu à cet effet dans le roadster, rendant impossible toute convocation du véhicule, je ressens une véritable panique qui s’insinue au plus profond de moi. Sans tous ces auxiliaires technologiques, nous ne sommes pas grand-chose…

Et puis, je me rappelle que je suis un initié et que Linda est bien plus encore. Nous devrions parfaitement maîtriser cette situation inédite. Nous sommes simplement victimes de nos cerveaux reptiliens, une réaction primaire, bien loin de nos véritables capacités !

Il n’empêche, nous restons figés, incapables de décider quoi que ce soit, reculer et fuir ou avancer et pénétrer dans cet « hôtel » ?

Le soleil est déjà bas sur l’horizon. L’avenue de Brighton est déserte. On ne distingue pas vraiment les maisons qui la bordent. Tout est flou, évanescent, insaisissable. En arrivant, Je croyais avoir vu des véhicules, plutôt anciens et même vieillots, garés çà et là de chaque côté de la voie, mais maintenant je constate qu’il n’y en a pas. Cette avenue est très mal entretenue ; les herbes poussent au travers du macadam et des racines déforment la chaussée.

Je ne me sens pas du tout de parcourir cette avenue encore plus inquiétante que l’hôtel. La meilleure solution est probablement d’avancer, d’ouvrir la porte et de dire « bonjour ! Il y a quelqu’un ? » puis d’attendre patiemment. Quelque chose finira bien par se passer !

Je saisis la main de Linda ; elle est glacée ; étonnamment, la mienne aussi ! Nous nous regardons ; je ne la reconnais pas. Son regard a changé ; il est lumineux, glacial, lointain ; même la couleur de l’iris semble différente, plus métallique, avec des reflets vert émeraude que je ne connaissais pas, assez jolis mais franchement inquiétants.

J’ai l’impression que je lui fais le même effet ; elle lâche brutalement ma main au moment où je ressens une décharge électrique violente.

Nous sommes alors propulsés en avant très brutalement et entrons en courant dans le bazar qui constitue le rez-de-chaussée de l’hôtel. C’est un véritable capharnaüm. Nous nous écroulons sur un tas de tissus, de tapis, de chiffons et de vieux vêtements qui barrent le passage. C’est vaguement poussiéreux, mais relativement propre. Il n’y a pas de mauvaises odeurs.

Nous restons allongés, l’un contre l’autre. Linda a retrouvé son regard normal. C’est finalement assez confortable. L’envie de rester là est plus forte que la volonté de bouger, lorsque nous entendons une voix masculine derrière nous :

  • Vous pouvez dormir là mais nous avons aussi une chambre pour vous à l’étage.

Je me relève rapidement, ainsi que Linda.

  • Bonjour, nous sommes Linda et Franck, nous avons réservé une ch…

  • Je sais ! Vous m’avez appelé il y a deux ou trois heures. Je suis Vic. Bienvenue au Grand Hôtel !

L’homme, de taille moyenne, entre deux âges est d’une banalité parfaite, sans rapport avec l’originalité de l’endroit. Je m’attendais à être reçu par un original, un sorcier ou un ogre, mais non, il a l’air tout à fait normal. Seule bizarrerie, je pensais avoir appelé cinq ou dix minutes avant notre arrivée, et non des heures auparavant.

  • C’est un peu sauvage par ici, non ? dis-je.

  • Vous trouvez ? Vous vous y habituerez ; ceux qui viennent ici ne veulent plus en repartir.

J’ai cru entendre « ne peuvent plus en repartir » comme dans la chanson des Eagles « Hotel California » : «We are programmed to receive.  You can check out any time you like but you can never leave !» qui passe d’ailleurs en sourdine dans l’établissement.

  • Je me suis permis de monter vos bagages dans votre chambre.

  • Nos bagages ???

  • Oui, vos bagages ! Pendant que vous dormiez, j’ai vu que le coffre de votre superbe voiture était ouvert. Je suis allé voir pour le refermer mais j’ai constaté que vos bagages étaient à l’intérieur ; Je les ai sortis et le coffre s’est refermé tout seul. Même s’il n’y a pas de vols ici, c’était quand même plus prudent.

Je jette un œil sur la pendule ; il est plus de 20 heures ! Le roadster nous a quitté vers 17 heures 30 et est revenu avec nos bagages. Pendant ce temps, nous avons dormi sur le tas de tissus. Vic passait et repassait au-dessus de nous pour aller au roadster et monter nos bagages. Cette sensation qu’il ne s’est écoulé que quelques instants alors que plusieurs heures ont passé est étrange. Notre vie était comme suspendue pendant que d’autres s’affairaient. Où étions-nous ? Et maintenant où sommes-nous réellement ?

Réellement ? Qu’est-ce que cela signifie ?

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